Raskolnikov est un sale type, un meurtrier, un homme qui s’est pris pour un surhomme, et qui, plein d’orgueil, tua cette vieille prêteuse sur gage. Il est infréquentable, bien sûr, ce personnage. Il mérite d’être arrêté, jugé, puni. Mais curieusement, malgré tout, on l’aime, Raskolnikov. On s’y attache.
Polanski n’a pas tué, il a, peut-être, violé une femme. Peut-être deux. Peut-être trois ou plus. Je ne sais pas- mais je continue, malgré tout, à ne pas croire à un « Polanski violeur »-. Le viol est une affaire odieuse. Insupportable, un acte de barbarie. Une insulte à la dignité humaine. Il n’empêche que Polanski est défendu, que tous les artistes de la planète sont derrière lui, le soutiennent. Il suffit de voir la pétition qui circula à Cannes. Plein de raisons ont été avancées à ça : cette histoire de justice californienne corrompue, cette histoire de trente ans : c’est loin. Et Samantha… la plaignante qui retire sa plainte, l’âge avancé du réalisateur. Mais, me semble-t-il, il y a autre chose, et de la plus haute importance : Polanski fait partie de la famille. On aime un grand artiste, on aime ses films qu’on a vu dix fois, les géniaux Cul-de-Sac, Tess, Rosemary’s baby, Macbeth, Le Bal des Vampires, Le Pianiste. On aime un cinéaste parce qu’il vous apprend à voir, à voir un monde absurde et beckettien comme dans ses premiers films, à voir de l’invisible par le biais du fantastique, à voir, comme l’écrit Yann Moix dans un article passionnant qu’il a fait pour ce dossier, à quel point nous sommes enfermés en nous-mêmes… Ni plus ni moins, un grand artiste vous apprend à marcher. Un grand artiste fait partie de la famille, et c’est dans le rôle du père qu’il excelle. Un grand artiste nous éduque comme un père. Peut-être mieux qu’un père. Et la question est là : si votre père tue quelqu’un, allez-vous le dénoncer à la police ? Hum… je crois que non, mille fois non. Vous le soutiendrez. C’est comme ça quand on aime. La famille est sacrée. D’où ce dossier. U n dossier non pas sur l’affaire, mais sur son oeuvre, que la presse a négligée cette année. Une oeuvre passionnante, protéiforme, quoique, comme vous le verrez, profondément cohérente.