Amateurs de polars frénétiques, de thrillers survitaminés, passez votre chemin. A Most Violent Year est le plus antispectaculaire film noir. Et pour cause, Oscar Isaac joue, avec une violence toujours contenue, un petit businessman tentant de faire son trou dans l’industrie du transport pétrolier, en essayant de ne pas se salir les mains. Dès qu’il se retrouve victime d’un coup fourré, enferré dans un complot ou volé par ses concurrents, trahi par la banque ou un môme qui menace de faire couler sa boîte, Abel se raisonne plutôt que d’agir dans la précipitation ou de tirer à vue sur ses ennemis. Il se reprend plutôt que de mener sa petite vendetta personnelle. Pressé par ses créanciers qui lui réclament dans les deux jours deux millions de dollars pour l’achat d’un terrain dont il a besoin pour enrichir ses affaires, il court après les prêts impossibles, les alliances financières complexes plutôt que de dévaliser une banque ou de faire appel à des braqueurs. Abel fournit même à un policier les documents dont il a besoin dans son enquête pour ne plus être inquiété. Les compromissions banales mais toujours dans les limites de la légalité ont remplacé les armes à feu. Si bien que chaque moment clé du polar attendu (poursuite, règlement de comptes, duel, trahison découverte) se solde moins par des coups d’éclat, des explosions d’hémoglobine, que par des négociations retorses. Même la poursuite attendue sur le Brooklyn Bridge s’achève sans effusion de sang. Même au moment crucial où, sur le quai d’une station de métro, Abel a enfin entre les mains celui qui le braque depuis des mois, il le laisse partir. Son ennemi se retourne alors et le remercie en lui fournissant le nom du traître. Sous ses dehors de gangster (Isaac ressemble au Pacino du Parrain), Abel est un pragmatique ayant vite compris que la mansuétude et l’obséquiosité peuvent servir ses intérêts mieux que la brutalité. Comme il le dit, le plus important est le chemin emprunté vers la réussite : dans le monde des affaires, la loi permet aux moins scrupuleux de vivre le rêve américain.
Sous des couleurs froides, sombres, à très faible exposition, rappelant James Gray et Clint Eastwood, le thriller attendu (avec son titre prometteur) accouche d’un captivant et complexe film d’alcôves, de chambres et de négociations aux accents shakespeariens sur l’ambition. Aux côtés d’Abel, son épouse est une Lady Macbeth (Jessica Chastain) le poussant à se trahir lui-même, à contourner la loi pour sauver fortune, réputation et famille. Après Margin Call et All is Lost, Chandor poursuit donc son enquête sur les arcanes du capitalisme. Si Margin Call se déroule en 2008 à la veille de la faillite de Lehman Brothers, A Most Violent Year se passe en 1981, date symbolique de l’élection de Reagan et des années « fric ». Polar où le drame est sans cesse retardé jusqu’à son terrible final,
A Most Violent Year est une course tranquille mais déterminée contre la montre. Ici, la violence n’est plus physique. Invisible, elle s’insinue dans l’air de pièces dérobées, au cours de discussions civilisées et diplomatiques. Ce que filme avec acuité Chandor, ce sont les origines de la crise. Les balbutiements sourds d’un monde à la dérive.