Incipit, acmé, excipit. La littérature est censée filer droit. Fabio Viscogliosi n’en a cure. Il nous entraîne en promenade sur le parcours de ses Choses vues. Se dessine un faisceau d’anecdotes formant à elles toutes un vaste cabinet de curiosités, comme on n’en a plus vu, peut-être, depuis le xixe siècle. Il y a là de l’intime, des souvenirs, des êtres chers, des trajets en train ou des fêtes de jeunesse dans des châteaux bizarres – passe, furtivement, la silhouette du Grand Meaulnes. Il y a cet amour des objets : instruments de musique, voitures de seconde main. Fabio Viscogliosi possède cette aisance transformant les choses en petits univers fondus les uns dans les autres avec la grâce des belles dentelles. Un souvenir personnel appelle une scène de film. Un anonyme appelle unefigure connue. On passe de l’homme de la rue, rencontré au hasard d’un banc public, à Mondrian, à Pessoa, à l’explorateur Ernest Shackleton, à Godard. Cela se déroule avec souplesse, mû par une érudition généreuse, affranchie du tapage et des effets de manche. La dernière phrase du livre est une citation de Paul Gauguin : Fabio Viscogliosi s’est déjà éclipsé. On ne s’étonne pas de cette modeste sortie de piste – l’homme suit sa « petite musique » tranquille, virtuose, sans guère se soucier du cadre.