Chacun connait la parabole christique, « les derniers seront les premiers ». Osons cette comparaison puisque c’est la vérité : le salon artgenève, crée il y a neuf ans, est à la fois le petit nouveau dans un domaine déjà très encombré et le premier de l’année, ce qui lui offre une « fenêtre de tir » assez intéressante. Le premier grand rendez-vous annuel pour le marché de l’art contemporain en Europe connaît en effet un développement exponentiel. Judicieusement situé aux abords l’immédiats de l’aéroport international, artgenève persiste dans son idée de salon de taille humaine. Moins de cent galeries, avec cette année, l’arrivée notable de Loevenbruck, Lévy Gorvy Massimo De Carlo, entre autres. Comme l’explique Thomas Hug, son directeur, « je tiens à conserver le format restreint et l’atmosphère d’intimité qui en découle. Autre point important qui me tient à coeur, la présence d’expositions curatées et des espaces dédiés aux institutions comme le Centre Pompidou ou la Serpentine Gallery. »
Il est vrai qu’arpenter cette mini foire aux allures de salon ouaté, est un plaisir pour qui affronte parfois avec une angoisse claustrophobique la Fiac et autres Frieze. Ici, nous sommes en Suisse, prière de laisser à la douane ces « Oh my God ! » stressants pour l’ouïe et autres signes de fébrilité bipolaire inquiétants. Du monde, mais en quantité raisonnable, des visiteurs calmes et attentifs que l’on peut juger au premier coup d’oeil comme de réels connaisseurs et donc de potentiels acheteurs. Bref, nous sommes ici dans un monde civilisé en aucun cas phagocyté par la présence d’un rappeur débile ou d’un styliste cocaïné prêt à faire flamber leurs Gold pour une banane scotchée ou un navet accroché. Sur le stand de la galerie suisse Heinzer Reszler, on expose l’intéressante artiste locale Nathalie Perrin mais on sait aussi pourquoi on est là : « Pour nous qui sommes basés à Lausanne, c’est très important d’être présents. C’est une foire qui se bonifie d’année en année, sans risque d’agrandissement puisqu’on ne dépassera jamais, à cause de l’espace, les cent galeries. Au début les gens étaient un peu sceptiques parce qu’il y a déjà ArtBasel, ce qui fait peut-être beaucoup pour un petit pays, mais la foire trouve peu à peu sa place. Ca fait sept ans que nous venons. Maintenant toutes les grandes galeries se bousculent au portillon pour être présent. Regardez les Français ! Même Kamel Mennour et Hervé Lowenbruk ont fini par venir ! »
Un collectionneur anglais m’explique le succès grandissant par l’attraction d’une clientèle internationale pour l’art de vivre au vrai chic helvète : « artgenève correspond à la saison de ski. Vous descendez de votre jet, vous allez faire vos emplettes sur les stands et vous repartez skier à Gstaadt, à Saint Moritz ou pourquoi pas à Verbier ou même Megève du côté français. » Je ne sais pas si Nathalie Obadia saute sur ses skis ensuite, mais elle apprécie la dimension humaine de l’évènement et est plutôt satisfait du déplacement : « Chaque année, nous vendons plutôt bien, à un public d’habitués. Mais aussi à de nouveaux collectionneurs comme j’ai pu le vérifier ces jours-ci, des pièces à moins de 50.000 euros. Mais aussi quelques pièces entre 150 et 300.000 euros. Il y a un réel engouement pour ceux qui font l’actualité de la galerie, comme Benoît Maire, Laure Prouvost, ou Shirley Jaffe. Ici, c’est un public très sérieux, à l’opposé d’un certain marché hystérique où on achète sur un coup de tête comme on joue en bourse. » Des collectionneurs très matures, donc, et auxquels les galeries attachées aux courants-avant-gardistes, ont tendance à proposer des valeurs sûres en privilégiant le format traditionnel du tableau. Prière de laisser tout risque à l’entrée. Pour Mathieu Templon, le fils de Daniel, « la foire possède un côté confidentiel qui me plait. On a vraiment le temps de s’occuper des collectionneurs, et le fait qu’il n’y ait que des exposants de très bonne qualité ajoute au bonheur d’être présent. » Aux côtés des valeurs sûres exposées sur son stand, Mathieu Templon insiste sur la présence vivifiante de Omar Ba, Prune Nourry ou Abdelkader ben Slama. Même son de cloche chez Perrotin, ou à la galerie Valois dont on remarque avec intérêt le stand dédié à l’artiste américain Robert Cottingham aux merveilleux dessins de villas californiennes. Shawn Arp, de chez Gagosian Genève en est persuadée : « on développe tous les ans une nouvelle clientèle grâce à artgenève. C’est la semaine locale la plus intéressante de l’année, artistiquement parlant. La plupart de mes clients new yorkais importants font désormais le déplacement. Aucun risque de stress ou de frénésie ridicule que l’on connaît dans d’autres foires. Ici c’est très élégant et très civilisé, parce que les gens connaissent l’histoire de l’art, ce qui est de moins en moins le cas », précise cette lointaine cousine de Hans Arp, qui me montre un Simon Hantai de toute beauté à côté d’une planche de surf de Mark Newson. Pas évident de surfer sur le Léman. Tiens, Newson devrait penser la prochaine fois à réaliser une paire de skis.