Parmi les romanciers américains de la première partie du xxe siècle, il y a ceux dont on lit les livres comme on lit le dernier Philip Roth, leur langue est la nôtre donc leur monde aussi ; Fitzgerald en est. Et il y a ceux qu’on lit comme des objets d’étude, comme des étapes de la littérature, de la pensée. On pense plutôt à Hemingway, l’homme qui chasse le requin, avec sa pipe et ses guerres. Ou à Herman Melville.
Francis Scott Fitzgerald n’a pas vieilli d’un pouce, c’est incroyable. Il pourrait être un pote qui nous raconte au champagne (en vrai il était plus souvent au gin et à la bière), en terrasse, comment son couple vole en éclats avec cette fameuse Zelda, comment il se fait mal avec elle, et en même temps comment il l’a dans la peau, cette folle, cette dépressive. Cette femme tragique. La dégringolade. Comment il a essayé de remonter la pente sentimentale en prenant une autre femme, Sheilah Graham. Comment il a tenté de ne pas finir comme un clodo en s’installant à Hollywood pour gagner un peu d’argent.
Il pourrait être ce pote qui vous raconte comment il a cartonné, comment il a été sous les feux de la rampe, aimé de tous, admiré, et comment il est tombé. De la célébrité, de l’anonymat, d’être du spectacle ou ne pas en être, voilà une problématique contemporaine.
Il pourrait aussi s’interrompre pour dire : mais, au fond, à part l’amour et l’art, qu’est-ce qu’il y a ? L’engagement ? Je laisse ça à Hemingway, lui aime parler de guerre, sa virilité passe par là. Moi, la virilité, je m’en fous. Non je m’en fous pas, mais je préfère boire, on oublie tout comme ça. Dieu ? Connais pas. Jamais vu. Ni entendu. Désenchantement total, bien contemporain aussi.
Il faudrait lui répondre, pour le consoler, qu’il est peut-être l’inventeur de la culture jeune, que ses personnages sont tous ou presque jeunes, pas de vieux dans son oeuvre, la remarque d’Ariel Wizman est juste. Et ce serait peut-être le moment de lui dire que quand il n’y a pas de vieux pour la jeunesse, donc pas de sages, d’héritage, de maîtres, il manque des boussoles. On a le désespoir qu’on mérite. Il faudrait lui dire aussi qu’il est l’inventeur du minimalisme, bien avant Raymond Carver. Thomas Wolfe lui reproche bien dans une lettre inédite que nous publions : Il y a pour toi les écrivains laisse-dehors et les écrivains met-dedans. Les premiers avec toi ont raison, les autres ont tort. Voilà la première définition du minimalisme.
« On oublie tout, on ne répare rien », écrit Milan Kundera dans La Plaisanterie. C’est hélas vrai, mais il faut agir tout de même. C’est toujours ça de pris. C’est ce que nous avons fait avec ce Transfuge hors-série consacré à cet immense écrivain, une forme d’hommage qui n’est rien d’autre qu’une réparation, aussi mince soit-elle. N’oubliez pas les morts, n’oubliez pas Fitzgerald, ils ont des choses à nous dire.