Vous êtes écrivain, réalisateur, la plupart de vos films sont tiréz de vos livres, pourquoi avez-vous cette fois choisi d’adapter le livre de quelqu’un d’autre ?
Quand on fait un film, il est nécessaire de voyager au tréfonds du sujet. L’écriture romanesque naît d’un rendez-vous avec soi- même permettant un tel voyage. Ce qui n’est pas le cas dans le cinéma qui est une oeuvre collective. Jusqu’à présent j’étais un peu têtu et je ne choisissais que d’ d’adapter mes écrits mais après deux documentaire et deux fictions, j’ai eu envie d’aller voir ailleurs. Je souhaitais affronter la réalité du monde et plus seulement celle de la culture afghane. Quand la production m’a proposé ce projet, je n’avais pas confiance en moi car je ne connaissais rien du Rwanda. Alors, je m’y suis rendu durant plusieurs mois, j’ai découvert ce pays et accepté de faire le film.
Ici, la compréhension des mécanismes d’un pays est d’autant plus importante qu’il s’agit de montrer un moment excessivement violent de son l’histoire…
J’ai vécu la violence dans mon pays d’origine et quand vous la vivez, croyez moi, vous ne voulez pas voir ce qui se passe. Par contre, si vous pouvez fermer les yeux, vous ne pouvez pas boucher vos oreilles, vous entendez les bruits, les cris et c’est atroce. Le son que produit la violence est très fort. Par exemple, on m’a dit que pendant le génocide, même les oiseaux se taisaient et effectivement quand on écoute des enregistrements de l’époque, leur silence est écrasant.
Quand je m’attache à des moments aussi durs de l’histoire, je me demande toujours ce qui est le plus important : montrer la maison en ruine tombée sous les bombes ou le regard de celui dont la maison est détruite ? Pour ma part, c’est ce regard que je cherche à capter, son desespoir, sa tristesse et son émotion. Au Rwanda, le génocide s’est préparé doucement, très en amont puis la haine a surgit. J’ai voulu montrer que cette violence ne se résumait pas à l’emploi des machettes et des gourdins.
Votre film se place à la frontière entre rêve et réalité. Est-ce important au cinéma de se défaire du réel ?
Evidemment, comment moi, un Afghan qui vit en France, pourrai-je comprendre la réalité de ce peuple ? En fait, je ne crois pas au cinéma réaliste. Dire “je veux faire un film réaliste » c’est une tricherie, ça n’existe pas car quand on pose sa caméra quelque part il s’agit de poser son regard sur une réalité que l’on voit, que l’on ressent. Pour moi, cette question n’est pas seulement formelle, elle est idéologique et politique, le cinéma, l’art, est le reflet d’un monde possible. Il faut assumer sa subjectivité et être humble face à la réalité.
L’adaptation d’un roman transforme-t-elle la lecture qu’on en a ?
Quand je lis simplement un livre, je vois le personnage comme un personnage de roman. Quand je dois l’adapter, je développe un autre rapport avec lui, je dois par exemple lui donner un visage, le connaître plus, connaître ses forces et ses faiblesses… Finalement je dois me demander “qu’est ce que le personnage cache dans le roman ? » .
Quelle liberté peut-on s’autoriser par rapport à un texte ?
La distance entre le livre et le film est très importante. Sans elle, le film ne serait qu’une simple illustration du texte. L’adaptation au cinéma a pour rôle de révéler ce qui est, dans le roman, est sous-jacent. En fait, l’adaptaion doit trouver ce qui se loge dans le blanc qu’il y a entre les mots du roman.
Ne pensez vous pas qu’une adaptation peut décevoir le lecteur ? Effectivement, l’image proposée par le film peut être en deçà de l’image crée par l’imagination…
Ça c’est le problème du lecteur ! Cela ne concerne pas le réalisateur ou l’auteur car, si chacun peut faire son interprétation, il est normal que le réalisateur en ait une. Moi, je suis né avec ma propre culture, j’ai ma propre histoire, pour le lecteur c’est la même chose alors, évidemment les chances pour que l’on ait un point commun est minime ! Aller voir une adaptation ce n’est pas relire un livre. Ce qui est intéressant finalement c’est de voir comment l’autre a perçu le texte.
En janvier 2020 est sorti chez POL, L’invité du miroir, conte des nuits rwandaises, un ouvrage issu de vos carnets de tournage.
Ce livre est une manière de montrer ce que cette expérience m’a apporté. Quand j’étais au Rwanda, je sortais tous les soirs dans des cabarets ou dans des bistrots pour rencontrer des Rwandais. Au cours de nos ivresses, mes compagnons de comptoir m’ont parlé de choses extraordinaires qu’il me semblait important de partager. Entrer dans l’histoire d’un pays, on peut le faire avec les archives mais entrer dans l’imaginaire d’un peuple, on ne peut le faire qu’en allant à la rencontre des autres. Ces instants m’ont permis d’être envahi par cet imaginaire, ce qui est essentiel pour moi.