De Recife, on ne verra qu’un peu de Setúbal ; à savoir une partie du quartier de Boa Viagem. Et encore : on ne verra que quelques immeubles et quelques rues ultramodernes et hétérogènes. La plupart du temps, on restera avec la classe moyenne, calfeutré dans les appartements sécurisés, à l’abri des spectres de l’insécurité. Dès le premier plan (après une introduction faisant défiler quelques très vieilles photos de Recife), la caméra serpente dans un parking clos, suivant des enfants en roller et aboutissant dans un terrain de jeux grillagé, à l’abri de la rue ; les enfants jouant semblent parqués ; on entend un fort bruit de ponceuse, d’abord hors champ, avant que la caméra ne zoome sur ledit outil. Le film, comme son nom l’indique et comme cette ouverture le montre, s’attachera aux « bruits de Recife » (le titre original dit « le son du voisinage »). Les bruits, c’est ce qui traverse les systèmes de sécurité, les murs, les grillages, et finit par créer malgré tout une ambiance de quartier. Kleber Mendonça Filho, dont c’est ici le premier long métrage de fiction, connaît bien le quartier en question, puisqu’il y vit. Le film s’en ressent fortement ; et le cinéaste recense ces bruits avec une précision de musicologue et de géographe, comme pour en faire l’inventaire : musique écoutée sur une radio dans la rue, travaux, chiens… La superposition des sons de la ville fait des Bruits de Recife une sorte de Playtime brésilien, le comique en moins. L’architecture sonore sert à la fois de toile de fond et de structure au film.
Dans cette structure évoluent plusieurs personnages : João, jeune homme qui entame une liaison passionnée avec une femme tout juste rencontrée ; Bia, mère au foyer qui s’ennuie et tente par tous les moyens (drogue, pétards…) de faire taire le chien des voisins qui l’empêche de dormir ; des agents de sécurité venus proposer leurs services (une veille nocturne dans la rue) aux habitants du quartier ; Francisco, patriarche dont on comprend vite l’importance dans le quartier. Peu à peu, ces personnages qui paraissaient compartimentés chacun dans sa trajectoire (comme ils le sont dans leurs appartements) s’avèrent être connectés : le puissant Francisco n’est autre que le grand-père de João, et l’on s’aperçoit que les agents de sécurité ne sont pas arrivés dans le quartier par hasard. Car, et c’est l’une des grandes forces du film, si la paranoïa et l’enfermement sécuritaire sont bien les thèmes du film (du cauchemar d’une fillette aux barreaux scellant les fenêtres), ils dévoilent peu à peu une histoire quasi feuilletonesque, où chaque personnage est plus ou moins lié aux autres. João, agent immobilier de son état, sert notamment de fil rouge, se déplaçant d’immeuble en immeuble. Et l’histoire se dessinant peu à peu, c’est celle du Brésil moderne, dont on devine dans l’architecture même des villes les inégalités qu’a supposées sa constitution. Ainsi, même les plus progressistes des personnages (l’héritier João, par exemple) reproduisent les schémas sociaux divisant propriétaires et domestiques. C’est le sens de ce plan très frappant, montrant le jeune homme avec sa compagne et son grand-père sous une cascade, dans le grand domaine du patriarche ; l’eau de la cascade, pendant quelques instants, se teinte de rouge. Cut : on retrouve João sur son lit, comme sonné par cette image hallucinatoire et révélatrice ; l’argent a prospéré dans le sang.
Malgré ces connexions scénaristiques entre les personnages, Kleber Mendonça Filho lâche assez la bride de sa mise en scène (d’ailleurs extrêmement précise) pour ne pas s’enfermer dans un schéma de film choral mécanique. Le réalisateur sème de nombreux indices se révélant n’être que des fausses pistes : un accident de voiture, un jeune homme perdu, un conflit physique entre Bia (la femme au foyer) et sa soeur… On peut soupçonner, dans un premier temps, que cette façon d’accumuler des détails finalement hors de la trame narrative ressemble à un piège. Mais on comprend vite qu’il s’agit d’un projet de mise en scène beaucoup plus ambitieux et plus troublant : filmer la ville pour prendre le pouls de la vie comme elle va ; et cerner l’angoisse ambiante traversant un quartier, jusque dans les événements les plus quotidiens.