De Buffy, et son eau de rose teenage saveur gothique, au vin capiteux et faussement léger de la grande comédie shakespearienne : Joss Whedon, en adaptant Beaucoup de bruit pour rien, tente le grand écart. On s’attendait avec une délectation perverse à tout : profanation postmoderne de la sépulture académique du Barde, équarissage désinvolte du texte, injection de Botox pop ou perfusion de junk-food télévisuelle…Beaucoup d’attente pour rien. Les puristes et les gardiens du temple de Stratford-upon-Avon peuvent retourner rassérénés à leurs chers quartos poussiéreux. Le double mixte sentimental qu’est la pièce (deux couples, feux croisés des reparties, arbitrage heureux du hasard) suit sans accrocs son bonhomme de programme. Ca joue bien – trop bien : la langue de Shakespeare sonne lissée, naturelle, pas plus étrange que l’anglais standard, alors qu’il faudrait l’entendre, justement, entendre sa luxuriance, sa vitalité folle, dérangeante. Le noir et blanc, chic et inoffensif, le parti pris d’une actualisation si discrète ou stylisée qu’elle confine à la neutralité de l’intemporalité : tout passe, glisse, aseptisé, propret, aussitôt oublié. Beaucoup de bruit pour rien est sage comme une image morte.
Beaucoup de bruit pour rien
Buffy chez Shakespeare