Comment entrer dans le labyrinthe de ténèbres mentales et métaphysiques qu’est l’oeuvre de Lautréamont ? En le prenant, comme Benjamin Lazar, pour ce qu’il est : un prodigieux – et pervers – livre d’images. Une lanterne magique, tour à tour rutilante et hideuse, dont il fait défiler, seul en scène, les tableaux verbaux, les approfondissant, les nuançant ou les intensifiant avec le concours de la musique et des éclairages. Comme un film surréaliste de l’entre-deux-guerres, impression qu’accentuent encore les séquences projetées occasionnellement sur le rideau d’un écran de projection, avec leurs points de vue chavirés. Apparaît, dans un décor réduit au minimum – un sommier, une table, le drap de l’écran – l’étonnante force plastique du texte. La diction de Lazar, tantôt précise, martelée, tantôt torrentueuse, épouse les articulations syntaxiques et logiques des grands morceaux des Chants : la tempête, l’hermaphrodite, le cheveu. Et rend ainsi justice à toute la complexité rhétorique du texte, à cet échafaudage sémantique qui maçonne peu à peu un palais d’images et de comparaisons. Benjamin Lazar donne à entendre combien, sous la cruauté baroque, sous la déferlante d’humour noir, derrière l’attentat contre toutes les valeurs sociales et humanistes, les mots sont savamment agencés, composés comme dans un tableau. Et lui-même se noue, se tord, se maquille – mais sans jamais basculer dans la frénésie brouillonne, le romantisme impubère qu’une lecture trop hâtive de Lautréamont peut engendrer. Il devient ainsi, lui-même, comme une glaise docile, une vivante image du texte.
Maldoror, d’après Les Chants de Maldoror du comte de Lautréamont, adaptation et mise en scène Benjamin Lazar, jusqu’au 19 octobre, Athénée-Louis-Jouvet