Lettre à Yorgos Lanthimos
Cher Yorgos Lanthimos
Nous ne nous connaissons pas. Et pourtant, nous nous sommes rencontrés à travers votre travail. Je fais partie de ces spectateurs qui sont ressortis de votre film plus riches qu’ils ne l’étaient avant de le voir. Je fais partie de ces gens pour qui vous tournez des films. Ne vous méprenez pas – je ne suis pas un fan transi. Je n’ai pas votre photo dans ma chambre. Je n’ai pas vu tous vos films et si nous nous croisions dans la rue un beau jour, nous nous comporterions comme de parfaits étrangers et ne nous arrêterions pas. Pourtant, je fais partie de ces gens qui n’ont toujours pas oublié la forte impression causée par votre film Canine.
Je suis né dans une ville incroyablement petite, au coeur d’un pays minuscule, situé, par une ironie du sort, près de l’immense Russie. Ma patrie est plutôt refermée sur elle-même : nous avons notre langage, notre culture et nos bizarre coutumes locales. A bien des égards ma patrie m’évoque le coin reculé de votre film.
Quand le générique de fin de Canine est apparu à l’écran, j’ai jeté un oeil suspicieux autour de moi, dans la salle. Mes croyances correspondent-elless à la réalité, me demandais-je ? Ces mots dont je crois connaître le sens veulent-ils dire la même chose dans la réalité ? Et sinon, qui détient la vérité?
Votre film m’a une fois de plus poussé à remettre en question la fiabilité des informations et de la sphère médiatique, des livres d’Histoire et même des leçons de sagesse transmises par mes grands-parents. Votre film n’est certainement pas le premier à avoir suscité ces questions. Mais cela s’est fait d’une façon étrange, inattendue, et l’impact a été fort. Pour résumer ce que je ressentais le soir où je suis sorti du cinéma, je citerais Robert Frost : « nous dansons en rond dans un anneau et supposons, alors que le secret se tient au milieu et sait. »
Il ne faut pas chercher la vérité au cinéma. Parfois, je me demande même s’il est possible de la trouver dans la vie. Et pourtant, nous persistons à la rechercher dans ces deux registres. Le fait de se poser cette question nous fait avancer – dans la vie comme dans les films. Une question bien posée nous tire vers le haut, contrairement à une réponse vague. Et l’aspect multidimensionnel des films a des vertus sur lesquelles on peut s’appuyer pour poser des questions. Celles-ci, en raison de leur rhétorique intrinsèque, ont le pouvoir de nous affecter et de provoquer des changements. Et cette puissance dont dispose un réalisateur sur son public est immense. Il est donc de notre responsabilité de repérer et de reconnaître ces artistes capables d’utiliser avec sagesse cette puissance. Ceux qui ne se contentent pas de donner des réponses, mais savent aussi quelles questions poser. Ceux qui savent donner à leur public non seulement de l’humour et du divertissement (l’emballage) mais aussi une vision et du sens (le contenu). Ainsi, grâce à ces éléments, une oeuvre appartient de plein droit à l’art cinématographique, et c’est ainsi que vous avez créé votre propre film.
Le sens du détail, la pureté, l’humour raffiné sont parmi les outils de travail les plus importants pour les cinéastes. Etant moi-même réalisateur, j’ai le sentiment que ces outils ont une place honorable chez vous. J’espère qu’un jour nous nous croiserons dans la rue, et que nous aurons l’occasion de parler de la vérité. Cette vérité qui réside dans le cinéma et dans la vie. Et si ce n’est pas le cas, nous passerons peut-être l’un à côté de l’autre, alors que nous réfléchissons à ces questions.
Bien à vous
Martti Helde