Est-ce que cela marcherait ailleurs ? Il est 7h30, précisons du matin, et déjà la journée de spectacles commence au Channel. Dans un silence enveloppant, les acrobates de la compagnie XY nous entraîne pour La Douce équipée, une proposition déambulatoire toute en délicatesse. D’une salle à l’autre les figures s’enchaînent et le temps s’étire entre rêve et sommeil. Groupé autour des artistes, les spectateurs sont amenés à se rapprocher toujours plus jusqu’à ce que l’un d’eux soit finalement intégré à un porté. Cela va si vite et si naturellement qu’il n’y a presque pas lieu de s’étonner. Alors que les équilibristes entretiennent une sorte de fascination pour le public, il n’y a pas ici de hiérarchie entre ceux qui restent au sol et ceux qui fendent les airs. Un geste d’invitation suffit pour que l’un ou l’autre soit ralliés à une composition. Il n’y a pas de préméditation mais une bienveillance qui amène les uns et les autres à participer, à se mélanger. La proposition est suffisamment précieuse pour être soulignée : plus encore que d’adresse ou de maîtrise, les artistes font montre de confiance. Dans la lumière tamisée, les spectateurs n’ont jamais vu de figures de si près, ce qui ne les rend pas moins impressionnantes mais certainement plus intimes.
Les spectateurs jouent le jeu. Muni de leurs programmes annotés de leurs envies et sûr d’être surpris ils viennent là passer les fêtes. Prêt à participer s’il le faut le temps d’un tour de magie, d’un entrainement de danse, ils sont friands d’expériences. Il est difficile de qualifier certaines propositions aussi est-il plus sage de s’en remettre au bouche à oreille. La faculté de public à s’approprier la programmation est singulière, à la mesure des files d’attentes aux ambiances bon enfant. Il en faut peu pour que démarre une discussion impromptu : » qu’avez-vous vu? qu’allez-vous voir ? Il paraît en effet qu’il est pas mal celui là ». La scène nationale est avant tout un lieu de convivialité où s’invitent les spectacles, où se glissent les musiciens. Il n’est pas rare qu’un artiste soient ainsi interpellé au bar pour être complimenté ou questionné ; le public a un visage.
Invité à proposer chaque jour une proposition dans le cadre de sa carte blanche, Mohammed El Khatib en est sans doute conscient plus que les autres,. L’auteur et metteur en scène s’étonne chaque jour d’être applaudi à son entrée en scène, avant même d’avoir parlé. Une relation se tisse avec lui et le public à mesure qu’il se livre dans des propositions autobiographiques comme L’amour en Renault 12. Jour après jour, sans que l’on puisse savoir quelle est la part de l’improvisation et de calcul, il développe un art de la discussion. Qu’il vienne avec Alain Cavalier ou Corinne Dadat, avec Jacques Bonaffé et Anne Brochet ou même seul, il installe des silences et des moments de mise à nu. Avec presque rien, si ce n’est un art de la parole il fait rejouer un entretien avec Duras et Platini et dédramatise la scène au point de laisser à une spectatrice le mot de la fin et la possibilité de rencontres en dehors de la salle.