Chaosmos, le roman de l’avenir ? Peut-être. Christophe Carpentier signe une fiction d’anticipation où il nous annonce, en 2047, un monde barbare.
C’est une histoire de fin du monde. Sauf que cette fois-ci, le déclencheur de l’apocalypse n’est pas un virus ou une bombe atomique, mais l’humanité ellemême, sifflant subitement la fin de ses tabous. Nous sommes en 2020 et partout sur Terre les gens tombent comme des mouches. Quelque part en Islande, un poète baptise cette fin des temps le « Chaosmos ». Au hasard, sans remords, n’importe qui se met à tuer n’importe qui d’autre. Nul n’est mieux placé que le psychologue américain Ned Peterson, spécialiste des tensions urbaines, pour interpréter cette vague de violence : « Le déferlement de crimes auquel nous assistons prouve que la quantité de souffrance que l’humanité porte en elle a fini par dépasser la quantité d’espoir et de joies. »
Ned Peterson et ses homologues scientifiques analysent les rouages du Chaosmos en punaisant aux murs de leurs bureaux photographies de cadavres et témoignages d’assassins, avant d’être à leur tour décimés. Point de paresse dans ce récit, faisant prestement le deuil de son incipit de série télévisée : nous voilà propulsés en 2047. Le nouveau monde est un conte barbare, peuplé d’ogres, d’enfants perdus, de naufrages, de sacrifices humains. Les gangs ultraviolents terrorisent familles et groupes sociaux, vivant terrés en espérant se soustraire à l’« Onde Chaotique ». Évidemment, plus personne ne lit : on se contente de regarder sur UltraChaosTV les snuff movies culinaires du gang des frères Cromwell, torturant, tuant leurs victimes avant d’en faire des petits plats. Les écrivains d’autrefois monnaient leur survie en consignant les biographies des chefs de gangs : l’auteur nous plonge dans ces bonnes feuilles de l’horreur absolue. Violence pure, pornographie débridée, esthétique démente : c’est Orange mécanique, sous la plume d’un Homère ivre d’adrénaline.
L’écriture, fluide, inventive, file la métaphore là où on ne l’attend pas, singeant les convulsions désespérées d’un monde en perdition avec une élégance fin de siècle. Rompu à l’exercice du récit d’anticipation, Carpentier a publié en 2008 Vie et mort de la cellule Trudaine, étonnant roman de science-fiction dans lequel un régime totalitaire s’applique à chasser la vanité du coeur des hommes. L’auteur scénographie le « désenchantement du monde » avec une inquiétante connaissance de la psyché humaine et des cauchemars collectifs. Le roman s’achève sur l’espoir d’une nouvelle littérature, un clin d’oeil à Fahrenheit 451. La littérature n’épouse pas seulement le tumulte du chaos. Elle l’exorcise. Elle rappelle que l’esprit humain n’est pas seulement le site de pulsions morbides mais aussi de la vitalité créatrice. Chaosmos exploite toutes les virtualités du roman d’anticipation : la prédiction pessimiste et l’horizon utopique. Sans compter les échos troublants avec le monde du lecteur. Fin critique de notre temps, Christophe Carpentier se plaît à ne rien inventer que nous ne connaissions déjà. Il y a là le western, l’heroïc-fantasy, l’épopée mythologique, l’ultra-gore et la romance, mais il injecte une bonne dose de cauchemar dans la veine familière. L’époque du Chaosmos porte en elle le poison violent du désenchantement, ainsi que son remède, l’écriture.