Nouvelle voix du polar italien, Elisabetta Bucciarelli nous plonge dans la mafia des ordures transalpines. Corps à l’écart nous révèle un tiers-monde en centre-ville.
Chacun possédait sa propre baraque. Une maison, comme disait Saddam. Une tanière, pour Argos. Et pour Iac, un refuge. » Ou plutôt, une cahute sommaire aux murs branlants. Car c’est dans une décharge que Saddam le Turc boiteux, Argos le géant zimbabwéen, Iac le jeune homme un peu paumé et une poignée d’autres marginaux ont élu domicile. Au milieu de plusieurs kilomètres carrés de puanteur, de sacs plastiques, de conteneurs et de bric-à-brac régurgités par la grande ville.
Cela fait plusieurs années déjà que la question des déchets contamine la littérature italienne. Du Gomorra de Roberto Saviano (2006) au Padana City de Massimo Carlotto et Marco Videtta (2008), un certain nombre d’écrivains a rendu compte des récentes enquêtes concernant ce qu’on appelle désormais l’« écomafia » : un business sinistre, voyant cols blancs et mafieux s’entendre pour enfouir des produits dangereux là où ils ne devraient pas l’être, au mépris de la santé publique et de l’écologie.
Chez Elisabetta Bucciarelli toutefois, le ressort policier est absent. Les déchets toxiques sontbien là, discrètement ajoutés au tas d’ordures, tout comme la violence démesurée de ces types louches n’appréciant guère d’être observés quand ils déversent leur poison. Mais c’est la décharge elle-même qui s’impose comme le personnage principal de ce roman nerveux. Elle, ne cessant de se métamorphoser, quotidiennement remodelée par les pelleteuses ; elle qui infecte ceux qui la côtoient ; elle qui avale même, tel un Moloch répugnant, ceux qui s’en approchent un peu trop.
Pour un peu, on croirait reconnaître le décor de Soleil vert, le film SF écolo de Richard Fleischer (1973). La décharge devient le reflet d’une société en décomposition guidée par le profit et l’hypocrisie, où les pauvres meurent en silence. Elle alimente l’un des marchés de la ville, et se transforme même, certains soirs, en centre commercial à ciel ouvert. « La Ville allait pêcher ce qui lui manquait dans sa propre fange, elle prenait conscience des besoins en regardant ses déchets et, surtout, cherchait dans ses propres rebuts une nouvelle façon de survivre. Un mélange inattendu de personnages, des vieux, des jeunes, des individus à l’apparence tout à fait normale, se transformaient en fourmislaborieuses, en sourciers à la recherche d’un Eldorado perdu. »
« How to Disappear Completely » – « Comment disparaître totalement » – chantait Radiohead en 2000 sur l’album Kid A – titre que l’auteur cite d’ailleurs dans la playlist qu’elle accole à son livre. L’Italiennese concentre sur les habitants de ce soi-disant no man’sland abritant en fait une population éclectique. Des rejetés, qui n’ont pas trouvé d’autre point de chute. Des jeunots qui, à l’image de Iac, préfèrent vivre parmi les immondices plutôt que chez leur mère de l’autre côté de la rue. Un inframonde invisible vivant à nos côtés sans que l’on s’en rende compte. Un tiers-monde en plein centre-ville, sur lequel Elisabetta Bucciarelli met des noms et des visages.