De loin, In the Family peut donner des envies de fuguer. Ce premier long métrage « indé » fleure en effet bon le film dossier pour débats télévisés. Quelque chose comme un Kramer contre Kramer à l’heure de l’homoparentalité avec ce que cela comporte de schématisme, de confort éthique et surtout de bons sentiments. Joey vit avec Cody, le père de Chip, six ans. Les deux hommes s’en occupent ensemble. Dans cette famille d’un genre nouveau, tout semble aller bien comme dans n’importe quel foyer américain. Trop bien même. Wang insiste dès les premières minutes : dans de longs plans-séquences immobiles dans la maison, sous une lumière douce, on observe le trio dans un quotidien idéalisé, prendre son petit déjeuner, jouer ensemble, parler dinosaures et céréales. La pub pour la chicorée n’est pas bien loin. La longueur tranquille, paisible des séquences se fait l’écho de l’unité familiale. Seulement Wang prend soin aussi de légèrement décadrer ses axes pour suggérer d’emblée une instabilité sous leur surface polie. Désordre et malaise que le film va n’avoir de cesse de débusquer, trois heures durant.
À la mort de Cody, la famille se brise. Les espoirs de Joey aussi. Il découvre qu’il ne suffit pas de paraître une famille comme les autres pour être automatiquement accepté. Sous prétexte d’un testament rédigé par Cody à la naissance de Chip, sa tante devient sa tutrice. Joey voit les portes de la maison de sa belle famille se refermer. On lui interdit d’approcher Chip. Il apprend que les lois du Tennessee ne lui sont d’aucune utilité pour le récupérer. La belle continuité inaugurale explose : le montage s’accélère, les plans s’effritent, plus véloces, épousant la nervosité de plus en plus grande de Joey. Le décadrage se recentre sur lui. Ce film familial, collectif donc, se réduit à sa seule figure. Au terme d’une exténuante scène judiciaire où il parle pendant une demiheure en plan rapproché, il se retrouve soudain, seul, sa nuque au centre et au premier plan, à attendre la délibération. Il observe ses adversaires et amis quitter le cadre, son champ de vision. La répétition de ces plans « à la nuque », qui le laissent à chaque fois plus seul, les rend au fur et à mesure cauchemardesques. Ils révèlent chez Joey une phobie de l’abandon.
Le film procède (lentement mais sûrement) à la dénonciation de l’hypocrisie et du puritanisme. Mais centré sur Joey, In the Family met cet aspect à l’arrière-plan. Pas une seule fois ses personnages ne prononcent les mots « homosexualité », « homophobie », voire « racisme » (Joey a les traits asiatiques dans une famille WASP). Malgré son sujet social, ce qui est dit compte moins que ce qui est tu, dissimulé sous le vernis sage de plans très composés et des sourires de façade. À mesure que le montage explose, le récit se troue de flashbacks. On y découvre que la belle unité familiale dissimulait des béances d’un genre sordide (une mère folle à lier, de nombreux morts). La joliesse arty du petit film si certain de ses certitudes se tache. C’est la croyance et la bizarrerie de ce premier film si dense, ce qui le rend toujours passionnant plutôt que didactique : rejeter la pose naturaliste pour croire au romanesque extravagant, à des zones d’ombre sinistres, étirer un argument bien mince sur trois heures pour créer de l’inquiétude, voire de l’effroi. Croire, à la différence de Joey, que le vivant se niche dans les accidents.