En cette période de bêtise généralisée, de manichéisme assumé, de visions binaires de la société, paranoïaques et simplificatrices, un détour par l’humanisme semble vital. Un retour à ce beau rêve, qui irrigue mieux que nul autre la réalité, porté par Pétrarque ou Erasme, comme le décrit si bien ce livre de Francisco Rico, Le Rêve de l’humanisme, paru aux Belles Lettres en 2002. Quoi de plus fort que l’idée que le chemin de la connaissance passe par les lettres ? Les lettres, (pas seulement classiques, élargissons le concept) et les arts en général, donnent accès au coeur des hommes. Elles livrent une vérité historique, philosophique, métaphysique. Avec subtilité, nuance, complexité. La passion de l’art est un humanisme, et une passion de la vérité. L’humaniste n’a pas la tête farcie de grandes idées, il avance à tâtons, dans l’obscurité, avec un esprit critique et libre, pour essayer d’apercevoir une lumière. Un tableau, un livre, un film, une pièce de théâtre, l’émeuvent, par leur beauté, et il comprend un peu plus les hommes. Il y a, précise Rico, une volonté chez les humanistes de retrouver une vérité individuelle, à rebours des endoctrinements. Retrouver le témoignage d’une pensée, d’une sensibilité particulière, une trace laissée par un homme. Il ajoute que les humanistes accordaient une grande importance à l’idée qu’il y a une infinie diversité des hommes. Il faut lire à ce titre le très bel essai de Donatien Grau, Dans la bibliothèque de la vie, à paraître chez Grasset ces jours-ci. Il ne me contredirait pas, je pense, si j’osais le classer parmi les humanistes. Dans ses propos liminaires, il avance ainsi la belle idée que la lecture (d’un livre, d’un film, d’une oeuvre d’art…) est une lutte contre l’idée de séparation, idée qui est en nous, bête, insistante, entêtée. L’art au contraire crée du lien, du rapprochement donc de la tolérance, à partir de fragments d’existence à chaque fois réouverts. L’art redéploie quand les populismes ferment.
C’est ce que dit en substance l’écrivain et essayiste Ulf Peter Hallberg, interviewé par le journal de Vilnius IQ Intelligent Life. Son idée est, comme pour Grau, de savoir comment recréer du lien. Recréer du lien au sein de l’Union européenne, dont il est un défenseur, bien qu’il n’oublie pas d’être critique vis-à-vis d’un libéralisme qui mériterait d’être corrigé. Le lien sera culturel affirme-t-il. Quel meilleur frein que l’art contres toutes les formes de populismes, synonyme de simplisme ? Dans l’art, le bien et le mal ne fonctionnent plus. L’art réintègre l’individu dans un espace sans liens, c’est-à-dire une scène (la société) où ne se déroulent plus que des jeux de pouvoir. Ce lien, pour l’intellectuel, doit se faire ou se refaire en Europe, idée issue de l’utopie cosmopolite. L’art comme l’idée d’Europe ouvrent les frontières.
Ce retour à l’art, c’est la mission que s’est assigné Transfuge depuis quinze ans, accompagner cette idée civilisationnelle, idée fragile, fragilisée, en cette période ressentimentale, féroce, brutale, haineuse.