Trouver la grâce dans la pesanteur, c’est le grand défi de l’architecture. Insuffler de l’esprit à l’inerte, métamorphoser le lourd en léger, ce pourrait être le programme de Junya Ishigami, figure de proue d’une nouvelle génération d’architectes japonais dont on pourra découvrir l’oeuvre au gré de la trentaine de maquettes qui scandent l’expo de la fondation Cartier. Avec toujours ce motto : s’affranchir de tout ce qui pèse ou qui pose. S’émanciper de la théorie et de l’ombre oppressante des traditions et de l’histoire : « peut-être pourrions-nous mettre de côté les généralités sur l’architecture – les pratiques, les catégories et les styles communs ». Préférer à l’hypervisibilité arrogante du monument qui s’impose dans l’espace l’invisibilité de constructions qui semblent naître et se résorber dans le paysage. On pense au Visitor Center du parc Groot Vijsverburg, au Pays-Bas, et sa structure hélicoïdale, qui semble prendre son essor depuis l’humus de la forêt. Ils sont moins faits de ciment, de béton, que de matière subtile les bâtiments de Junya Ishigami. Au point, comme dans le cas du Centre culturel de la province de Shandong, en Chine, de donner l’impression de flotter sur l’eau. Et sans doute son matériau de prédilection est-il, paradoxalement pour un architecte, de l’ordre de l’impalpable : le vide, la béance, le rien. Vastes cratères forés dans la structure rocheuse du complexe House & Restaurant au Japon ; Chapel of Valley chinoise, dont les murs, comme une feuille de papier repliée sur elle-même s’écartent progressivement à mesure qu’on chemine vers l’autel : Junya Ishigami invente une architecture « négative ». Au sens ou Denys l’Aréopagite concevait la théologie « négative » : en faire toujours moins pour aller vers la grâce.
Exposition Junya Ishigami Freeing Architecture, Fondation Cartier pour l’art contemporain, jusqu’au 10 juin