La rentrée littéraire pointe son nez. Elle pointe son nez, avec ses défauts et ses qualités. Des intrigues de palais à n’en plus finir avec les prix, des enjeux commerciaux qui n’ont finalement pas grand-chose à voir avec la littérature. A cette rentrée, Transfuge, comme une partie de la presse d’ailleurs, a subi la colère d’Alain Finkielkraut. Lors d’un festival en Suisse, il aurait appelé à nous boycotter, sans doute à cause de l’entretien que nous avons accordé à Dominique Fernandez avant l’été. Profitons-en alors ici pour répondre à Alain Finkielkraut , non par la polémique mais par la seule réplique possible à son déclinisme apocalyptique : la foi en l’avenir. Comme chaque année, nous présentons ici notre lot de découvertes, de nouveaux venus sur le terrain de la littérature. Allez lire par exemple ce jeune Autrichien Clemens Setz avec son incroyable Syndrome indigo (Actes Sud), à la croisée de Walser et de Dick. Un autre jeune romancier, anglais celui-là, Benjamin Wood, lauréat du prix Fnac pour son Complexe d’Eden Bellwether (Zulma), signe un roman d’apprentissage efficace. Pas de quoi désesperer, vraiment. On pourrait multiplier les exemples dans notre sélection, montrant qu’ici et là dans le monde, de nouvelles littératures émergent. Voyez aussi ce recueil de nouvelles africaines sélectionné par Transfuge, Snapshots – Nouvelles voix du Caine Prize (Zulma). Laure Leroy, l’éditrice de Zulma et de ce livre, rencontrée l’autre jour au Festival de Nancy, me disait à quel point aujourd’hui la littérature africaine était inventive et vivace. Autre preuve de cette vitalité d’une jeune littérature avec le surprenant livre à la manière de Toni Morrison (pour la langue) de Selasi, Le Ravissement des innocents (Gallimard).
Et que dire de ces deux romans extraordinaires qui font notre couverture, celui de Siri Hustvedt, Un monde flamboyant (Actes Sud), et celui de Karel Schoeman, Des voix parmi les ombres (Phébus). Le premier se déroule à New York dans le monde de l’art contemporain, et raconte l’histoire d’une femme qui n’arrive pas à s’imposer dans un monde perçu comme misogyne. Elle met alors en place un stratagème pour atteindre le succès. Avec une grande intelligence, mêlant philosophie, psychanalyse et autres sciences humaines avec habileté, Hustvedt ne perd cependant jamais son goût de la narration. Nous l’avons longuement rencontrée, pour ce qui est probablement son plus grand livre. Karel Schoeman est une découverte pour moi, malgré un nombre déjà important de livres traduits en français. Je me dois de remercier ici Daniel Arsand, son éditeur, pour nous avoir fait découvrir ce romancier sud-africain, maître avoué de Coetzee. Il nous a livré un entretien par mail, exclusif. La force des descriptions, pour ce passionné de photo, est à l’égal d’un Claude Simon.
Non, Alain Finkielkraut, la littérature ne s’est pas arrêté de vivre avec Kundera et son Insoutenable Légérété de l’être. Comme l’écrit Clemens Setz, les personnes âgées doivent avoir un peu de générosité envers les plus jeunes générations pour ne pas les déséspérer.
Il y a une solution pour ne pas rabâcher sans cesse et avec agressivité que c’était tellement mieux avant (quand exactement, avant ? Avant quoi ? Avant qui ?). Une solution qui consiste, jour après jour, à lire les romans qui paraissent, à voir les films qui sortent, etc. et trier, jauger, évaluer. C’est un travail méticuleux, de fourmi, que nous faisons à Transfuge, et qui permet d’éviter l’écueil des vagues généralités déclinistes si appréciées par la bande à Finkielkraut.
J’ai toujours pensé que les critiques littéraires étaient des gens heureux, incorrigibles optimistes, chercheurs d’or opiniâtres. Des gens persuadés que l’avenir nous réserve de belles surprises, des écrivains de la trempe de Proust, Conrad, Mailer, Melville ou Virgile, des cinéastes à la hauteur de Renoir, Coppola, De Palma, Altman ou Visconti… Bref des gens fréquentables, les critiques littéraires, dont un des objectifs, sûrement, est de faire émerger la possibilité d’une nouvelle pensée du monde, au-delà de la colère stérile.