Récemment, Yann Moix était en couverture de deux magazines, Les Inrocks et Le Monde M. Sur la première, il tient une barre à mine, l’homme apparaît violent, prêt à vous casser la gueule telle une racaille. A moins que ce soit une canne à pêche mais je doute. Titraille : Le Dézingueur de la télé. La seconde, il a le visage dur, tout en nerfs, et une ombre noire, menaçante, semble descendre sur lui. Titraille : Trouble troublion. Les deux couv furent publiées à l’occasion de son entrée en fonction de chroniqueur dans l’émission de Laurent Ruquier, On n’est pas couché, en 2015. C’est le Moix médiatique. Le Moix marionnette.
Troisième une, la nôtre, antithèse des deux premières, choisie à l’occasion de la parution de son traité littéraire Terreur. Un journal qu’il a tenu pendant ces deux dernières années, dès l’attentat de Charlie Hebdo, et qu’il a retravaillé en aphorismes, en considérations inactuelles. Il définit le terrorisme qui nous a frappés sous tous ses angles, on glisse d’une pensée à l’autre, et il finit par créer des idées neuves. Tout en douceur, tout en humour, tout en rigueur, dignement. Le terrorisme en de nuances infinies. Il excelle dans cet exercice comme il avait excellé dans celui du pamphlet La Meute. Comme il avait excellé pour son roman Naissance. Comme il a pu exceller à Transfuge de 2010 à 2015 comme critique littéraire, dont il maîtrise l’art avec maestria. Souvenez-vous aussi de sa chronique au Figaro Littéraire où ses articles de réserve étaient aussi attendues que celles de Rinaldi ou de Bégaudeau.
C’est le Moix clandestin. Le Moix transfuge. Je vous recommande ce Terreur, premier coup réussi de l’histoire littéraire pour saisir le terrorisme par la littérature. Voilà ci-dessous une mise en bouche.
Un passage parmi tant d’autres, qui pense juste : « Quelque chose a changé. Quoi ? Tout. L’attentat s’infiltre sous les tapis, dans les oreilles, s’immisce jusqu’à notre chambre, imprègne notre sexualité. Le monde ambiant transporte une mocheté nocive, qui lèche creux et recreux, caresse les visages, laissant sur eux la salive d’un crachat. C’est la transmutation d’une action en trace indélébile d’elle-même. »
Un aphorisme comme il y en a beaucoup dans le livre : « Le terroriste ne vit pas, n’existe pas : il ne fait que glisser vers une date. »
Un passage plus drôle (rire jaune mais rire tout de même) : « Y a-t-il une « conscience professionnelle », une méticulosité » dans l’art d’assassiner lâchement ? Dans la dégueulasserie, y a t-il de bons ou de mauvais artisans ? Y a-t-il, au royaume de l’inacceptable et de l’inouï, un amour du travail bien fait ? Et y a-t-il des gens pour en apprécier l’insupportable qualité ? Peut-on, dans cet univers, définir la notion de « prouesse » ? Est-il déjà arrivé que quelqu’un, par la perfection de son attentat, force techniquement le respect ? Existe-t-il des experts, comme en patinage artistique, pour apprécier la mise en place et la virtuosité ? (…) Y a-t-il, chez les djihadistes, des copieurs, des plagiaires, des cancres, ou, a contrario, des surdoués, des prodiges et des génies ? Y a-t-il, dans ces milieux que nous ne connaissons pas, des soirs où l’on discute de savoir, jusqu’au petit matin, quel est le plus bel attentat depuis le 11 septembre ? »