Bacon, le lutteur. Ses tableaux sont des rings, des champs de bataille où forme et matière, ordre et désordre, chaos et équilibre fugitif s’écartèlent, s’entremêlent en de grandes échauffourée colorées. Un combat incessant dont les échos et les prototypes hantent la vaste bibliothèque – plus de mille titres – du peintre. C’est tout le propos de cette expo, qui décline des oeuvres souvent époustouflantes des deux dernières décennies de la carrière du peintre : montrer comment la tension fondatrice qui habite et tord ses toiles s’ancre et se ressource dans les textes qui le hantent. Six auteurs, comme six caisses de résonance, ou six matrices, de l’imaginaire baconien. Eschyle, d’abord, dont l’Orestie, comme une semence féconde et tragique n’en finit pas d’irriguer les toiles du peintre, dont les Euménides se confondent avec les noires nuées du remords et du bourrèlement qui l’assaillent à la mort de George Dyer, son compagnon : voyez le bouleversant triptyque In Memory of George Dyer. Eschyle, le tragique par excellence. Sans doute parce que la tragédie, comme chez Nieztsche, autre inépuisable gisement de rêveries pour le peintre, appelle la réflexion sur ces deux poussées antagonistes que sont le désir de forme plastique et le tohu-bohu, Apollon et Dionysos. Une tension, une danse pour parler comme Nietzsche, perceptible dans la fascination de Bacon pour l’informe : eau coulant du robinet, dune… Et encore et toujours, chez T.S. Eliot, avec son modernisme composite, chez Michel Leiris, grand « passeur » de l’oeuvre baconienne en France, chez Conrad, dont Au coeur des ténèbres enroule en un noeud infrangible civilisation et barbarie – chez ces trois auteurs, c’est le même affrontement. Sans oublier Bataille, dont Bacon lisait la revue Documents, et dont les textes « ABATTOIR » et « BOUCHE » sont comme des condensés de la sensibilité de Bacon…
Exposition Bacon en toutes lettres, centre Pompidou, jusqu’au 20 janvier