Au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, découverte du travail de Ron Amir. Comme un mirage : toute une vie naît de rien, du désert…
Alors qu’on passe de photo en photo au fil de la belle expo que consacre le musée d’Art moderne au photographe israélien Ron Amir (né en 1973), on se surprend à se scander intérieurement les vers du chef-d’oeuvre de Théophile de Viau, « la Solitude ». Le point commun entre cette invocation à l’amour saturée de références mythologiques, qui s’élève d’un doux cocon pastoral, bruissant d’eaux et hanté de cerfs et cette série de clichés, et de vidéos, qui fixent, dans les tonalités franches du désert du Néguev les installations de fortune des occupants du centre de détention de Holot, fuyant les rigueurs du Soudan et de l’Erythrée ? Sans doute cet « inconnu mystère » qui clôt le poème du Français, une présence paradoxale, invisible.
Celle d’abord des migrants. Vides de figures humaines, les photos conservent moins des architectures que des armatures – des structures édifiées de bric et de broc : des couvertures en guise de cloisons ou de revêtements, des branchages pour toute charpente, voire des alignement de pierraille comme la délimitation d’un cadastre. Vestiges d’une activité humaine, de gestes et de vie – comme une archéologie de l’immédiat (Ron Amir a promené son matériel délibérément old school entre 2014 et 2016, avant la fermeture du centre). Comme les signes d’une présence, évaporée le temps de la photo, mais dont demeure l’esprit.
Des traces qui découpent des espaces de vie improvisés, cuisine, voire salle de sport. Dont le vide, l’aspect d’ébauche, produit sur l’oeil du spectateur un effet d’appel d’air. En l’absence d’occupant à l’image, nous nous y projetons. Explorons les lieux. Nous nous demandons : comment vivre là ? Comment s’organiser, où s’asseoir, où ranger les accessoires nécessaires ? Comment habiter, en un mot ? Bref, nous imaginons. Puissance d’un regard, le nôtre, qui nous transforme en personnages, en habitants du désert, nous fait exister là où nous ne sommes pas. Et nous invite, nous, visiteurs du musée d’Art moderne de Paris à écrire une histoire commune : la nôtre, pendant ce bref laps de temps où nous nous arrêtons devant telle ou telle photo, et, conjointement, corollairement, celle des absents, des réfugiés du Néguev. Ces photos grand format fonctionnent comme autant de miroirs de nous-mêmes et de vitres sur les autres. Cette solitude du désert est décidément très peuplée…