La naissance d’un artiste, c’est toujours peu ou prou un mythe. Littéralement, dans le cas d’Herzog : son premier film, un court métrage, s’intitule Herakles (1962). C’est lui qui ouvre ce boîtier, premier volume d’une tétralogie de coffrets qui offrira un tour d’horizon sélectif de sa filmo. C’est un voyage initiatique au pays des chefs-d’oeuvre inauguraux du cinéaste. On découvre Signes de vie (1968) son premier long, on redécouvre Aguirre, la colère de Dieu (1972), on se reprend de plein fouet Les nains aussi ont commencé petits (1970), on se repasse, éblouis, ces merveilleux docus que sont La Grande Extase du sculpteur sur bois Steiner (1973) ou Le Pays du silenceet de l’obscurité (1971). On pioche dans les nombreux bonus : les présentations d’Hervé Aubron, les commentaires audio d’Herzog himself, un entretien avec Pierre- Henri Deleau, fondateur de la Quinzaine des réalisateurs, ou avec Noël Simsolo, on lit le texte du livret signé Emmanuel Burdeau… Et on laissera reposer le lecteur de DVD pour aller au cinéma où sous le titre Les Ascensions de Werner Herzog sont projetés début décembre deux docus inédits en France, La Soufrière (1977) et Gasherbrum, la montagne lumineuse (1984).
Le coffret se clôt sur L’Énigme de Kaspar Hauser (1974). Film pivot à bien des égards comme le rappellent les commentaires, qui réinvite des figures des films précédents (le nain, l’Indien, le désert), mais qui constitue aussi un retour en Allemagne, après la Grèce (Signes de vie), l’Afrique (Fata Morgana) ou l’Amérique du Sud (Aguirre). C’est d’ailleurs un des multiples intérêts du coffret : rappeler, comme le fait Noël Simsolo, que Herzog est aussi un cinéaste allemand. Certes, il est de la génération des Fassbinder, des Schroeter et autres Schlöndorff, mais on l’a souvent considéré comme un franc-tireur, un cinéaste de l’ailleurs, et non du pays natal.
Kaspar Hauser, c’est aussi la découverte d’un acteur, Bruno S. Acteur brut (au sens où on parle d’art brut), avec sa raideur un peu empesée, la pesanteur de ce corps dont les gestes ont quelque chose d’opaque, il pourrait résumer tout le cinéma d’Herzog. Car il s’agit toujours chez Herzog de lire – le monde (Hervé Aubron parle d’une « forêt de signes »), les autres. Parfois adviennent des moments de grâce : on pense au très beau Pays du silence et de l’obscurité, qui justifie à lui seul l’achat du coffret. Herzog filme des sourds aveugles, et leur langage « digital » : un jeu de pressions et d’effleurements sur la main. S’adresser à eux, c’est leur parler à travers la chair, l’épiderme. C’est lire un corps. Mais ces moments ne sont pas évidents. Car les hommes vivent en aveugles. Incapables de percevoir ces « signes de vie » qui donnent son titre au premier long métrage du réalisateur.
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