Le premier long métrage de Justine Triet, La Bataille de Solférino, tisse avec une verve sous haute tension la hargne d’un couple déchiré et un événement public d’ampleur : l’élection de François Hollande. Avec brio, le film invite une histoire intime et ses cris de hargne dans la rue où résonnent les hurlements de joie.
Vincent (Vincent Macaigne) et Laetitia (Laetitia Dosch) se sont aimés, ont eu deux filles. Aujourd’hui, Laetitia a un nouvel amant (Virgil Vernier), et garde jalousement ses enfants hors de la vue de son ex, prétextant sa violence intempestive. La Bataille de Solférino pourrait très bien être un drame conjugal de plus, destiné à se jouer dans le confinement d’une chambre à coucher parisienne. C’est d’ailleurs ainsi que le film commence, comme un drame de chambre : le montage parallèle de l’ouverture est haletant – qui montre Vincent se dirigeant vers le domicile de Laetitia des cadeaux aux bras et cette dernière se préparant pour une journée de travail au milieu des hurlements d’enfants. Quand la caméra est dehors, avec Vincent, on souhaite qu’il puisse pénétrer dans la forteresse verrouillée, quand elle est à l’intérieur avec Laetitia, on craint l’ex comme un dragon. L’hystérie est également répartie entre les personnages, et la mise en scène les renvoie dos à dos, traçant une voie (une impasse ?) à la morale indéfinie et sans repères normatifs. La réalisatrice ne prend jamais position pour ou contre ses personnages, laissant aux témoins le soin de juger : il n’y a qu’à écouter les réactions des spectateurs divisés, convaincus que le film est du côté de Laetitia ou de Vincent, en fonction de leurs propres curseurs moraux.
Mais Justine Triet, qui vient des Beaux-Arts et du documentaire, frotte son couple au réel, à savoir, ici, à la journée du second tour de la dernière élection présidentielle en date. Ce faisant elle s’impose une mise en scène composée de contraintes délirantes (huit caméras sillonnaient Paris le jour de la victoire socialiste), et construit une narration couplée, comme si la crise de l’ancien couple enflait jusqu’à prendre des proportions politiques et historiques. Les deux enfants sont perdus dans la foule, constituant un enjeu dramatique majeur (comme deux porcelaines dans un magasin d’éléphants). La « chambre à coucher » prend les dimensions d’une rue étouffée. Justine Triet parvient à inspirer une claustrophobie de plein air des plus oppressantes. « Faire un pas vers l’autre », c’est une difficulté métaphorique et physique sous la caméra de la réalisatrice prenant l’expression au pied de la lettre. La montée en tension du couple défait et celle de la foule de la rue de Solférino ne sont pas distinguées. Il en va de même pour l’épuisement des deux entités, celle du couple lors d’une scène d’engueulade nocturne éprouvante, celle de la foule socialiste lors de quelques plans de la Bastille ivre et rageuse, quelques heures après les cris de joie. En émane alors une esthétique de la mise en péril, de la crise totalisée, infiltrant la grande histoire et les histoires de chambre à coucher.