Iconoclaste et irrévérencieux, le quatrième roman de Saphir Divry s’enracine dans la débâcle sociale et l’enchantement d’un monde au bord du chaos. Quand le diable sortit de la salle de bain est une ode à la France des« sans-dents» et des vaincus qui sont les dédicataires du texte. En filigrane donc: le quotidien d’une jeune auteure lyonnaise en fin de droits, pas vraiment entendue par un entourage persuadé qu’il lui faut un métier sérieux. Éprouvée, l’héroïne égrène des pensées confuses sur les mots et les choses, capte les morceaux de bravoure de ceux qui, au supermarché, ont comme elle« une liste et ne s’en écartent pas. Ceux qui vérifient les prix manquants à la lectrice de codes-barres.»
Face aux injonctions d’un estomac vide la plumitive dit la faim qui tenaille – l’attente de l’allocation mensuelle. Et de guerre lasse, finit par se résoudre au pire. Divry est une moraliste qui feint de ne pas y toucher. Avec acuité, elle donne à voir un horizon défait où végètent des êtres sans le sou, loqueteux pris dans le magma de l’indigence.
Il n’y a que désillusion, culpabilité normée des chômeurs, à distance de toute afféterie lyrique. Qui a déjà lu Divry sait qu’il s’agit de lorgner vers la« biographie personnelle», avec« ses périodes glaciaires et ses révolutions».
Déroulant ses arabesques ironiques, l’auteure de La Condition pavillonnaire saisit avec une bienveillance subversive les vanités des normaliens -« ces geeks de l’anacoluthe», comme la gestuelle onaniste des étudiantes qui les entourent.
Chez Divry, les mots-valises et les calligrammes cohabitent avec la noria des listes, révélant les contraintes oulipiennes d’un roman hybride qui dynamite les genres. Demeure l’épopéefarcesque de la misère au jour le jour. Divry écrit avec humour la réalité tragique des précaires qui bradent leurs livres chez Gibert et doivent se contenter des prospectus des musées plutôt qu’aller au spectacle. Elle donne une voix au déclassé qui « sort brûler sa semaine » le vendredi soir. Fastueuse, libertaire, sarcastique, Divry redonne à la dèche ses lettres de noblesse.
Quand le diable sortit de la salle de bain
Sophie Divry
Noir sur blanc