Retour des frères Larrieu au(x) sommet(s) pour une traque alpine et enneigée. Avec Amalric en bête sauvage et en prof de littérature.
Nouvelle expédition pour Mathieu Amalric, qu’Arnaud et Jean-Marie Larrieu avaient déjà emmené à la montagne (Un homme, un vrai), et plus récemment laissé nu comme un ver dans un Paris apocalyptique (Les Derniers Jours du monde). Les frères délocalisent leur petit monde des Pyrénées vers les Alpes (ce n’est d’ailleurs pas la première fois), entre la Suisse et la France, confiant à leur acteur fétiche le rôle de Marc, professeur d’écriture à l’Université de Lausanne. Dans ce décor enneigé à la neutralité de page blanche, une jeune fille plantureuse, élève dudit professeur, disparaît ; une enquête commence alors. Le film ne fait qu’à moitié mystère du coupable, puisqu’il s’ouvre sur la nuit d’amour que la disparue passe avec Marc. Il s’agit plutôt, ici, de suivre le comportement du suspect traqué comme une bête, comme un loup, et de mettre sa psyché à nu. À mesure que la battue accule le professeur, sa métamorphose en prédateur sauvage se précise. Le bâtiment moderniste de l’université, véritable bunker de verre comme planté en pleine nature, est l’occasion d’une chasse voyeuriste et collective : celle de Marc, qui mange les jeunes étudiantes des yeux, celle de Richard (Denis Podalydès), à la tête du département, qui guette la faute du professeur érotomane, et celle de la police, elle aussi aux aguets et prête à faire tomber l’assassin présumé. Et la page blanche de neige, à mesure que l’hommeloup est plus assurément cerné, se charge peu à peu de boue et de sang, encre qui sert à écrire la genèse d’une folie meurtrière. Malgré une lecture psychanalytique (d’ailleurs bâclée avec ironie en fin de parcours) de la névrose de Marc, le film se passe d’élucidation, décrivant simplement et avec humour la relation trouble et incestueuse que le personnage entretient avec sa soeur (Karin Viard), tous deux vivant à l’écart dans un chalet. L’enquête elle-même, menée principalement par Anna (Maïwenn), a des airs de parodie. Chez les Larrieu, la peinture des moeurs sexuelles s’amarre toujours à la satire sociale, et les frères chassent les pulsions cachées, mettent à mal la respectabilité des personnages en les attirant vers la comédie.
La bête traquée, ici, est un écrivain (raté), ce qui est loin d’être anodin. Comme dans leurs films précédents, les Larrieu s’amusent à bousculer les postures intellectuelles pour faire ressortir la libido détraquée des individus. Le rapport entre la culture et la perversion bestiale, ici, est d’abord un rapport d’opposition : à la parole du professeur, à la prose de l’écrivain, s’oppose la pulsion sexuelle et meurtrière, et l’assassin, au fur et à mesure que le film avance, ressemble de plus en plus à une bête, même dans sa posture, de plus en plus courbée. Mais le paysage alpin permet aux deux cinéastes de décliner à nouveau le thème central de leur cinéma : la nature comme prolongement, comme terrain de projection de l’âme des personnages. Tout paysage, dans un film des frères Larrieu, a fortiori dans L’amour est un crime parfait, est un paysage mental. Une scène pédagogique est d’ailleurs là pour le rappeler : Marc a conduit ses élèves à un panorama et leur donne comme instruction de s’emparer de leur expérience face à ce paysage pour en faire, si possible, de la littérature. Un peu plus tôt, il énonçait déjà cette phrase, maxime d’André Breton : « Le fumeur cherche l’unité de lui-même dans le paysage. » Ce qui vaut pour le fumeur vaut bien entendu pour les autres aussi. Mais si la nature est un laboratoire des fantasmes des personnages, elle reste malgré tout opaque, voire d’une hostilité glaciale. C’est elle qui semble happer Marc vers la sauvagerie, le punir de se donner des grands airs d’intellectuel fréquentable, et d’oublier la maxime souterraine du désir selon les Larrieu : l’homme est un loup pour l’homme.