Du 2 au 5 mai, le Festival du premier roman et des littératures contemporaines faisait bruire pages et paroles à Laval. Transfuge y était.
Lecture ferroviaire, en attendant de retrouver le dais du chapiteau du Festival du premier roman et des littératures contemporaines, à Laval : la Correspondance de Flaubert. Notamment les passages où il rêve d’une littérature sans matière, « éthérisée » comme il dit, loin de la poisseuse réalité qui l’écoeure. Réflexion ferroviaire deux jours plus tard, en sens inverse, vers Paris : on aurait bien invité le bougon de Croisset à Laval.
Car au fil des rencontres, à l’ombre bienveillante du château qui domine la ville (et, nuitamment et éthyliquement au comptoir du Bar des Artistes, mais c’est une autre histoire…), le festival a démontré avec brio, constance et intelligence, que la littérature s’accommodait très bien de la réalité la plus « réelle » – celle des luttes, politiques, économiques, écologiques… La littérature engagée n’est pas un slogan anachronique, nimbé dans la fumée surannée des Gitanes de Sartre, mais une injonction, plus urgente et féconde que jamais, à s’emparer – pour le dire, l’exorciser, le remodeler – du monde.
D’où la présence de deux noms emblématiques d’une littérature qui se collette avec le monde : Gérard Mordillat et Sorj Chalandon. Qui portent haut les couleurs d’un engagement, qui cette année s’énonçait tout particulièrement au féminin : Ananda Devi, Carole Fives, Amandine Dhée, on en passe, autant de voix, de trajectoires qui viennent ébranler les fondements hélas bien solides des inégalités, secouer la vulgate des représentations placées sous le signe de l’éternel masculin.
Est-ce l’influence de la Mayenne qui coule sereinement en contrebas de la place où se dresse l’auvent blanc du festival ? Toujours est-il que c’est bien de cela qu’il s’est agi durant ses quelques jours : nettoyer nos représentations. Nous laver des clichés, raccourcis de pensée et autres idées toutes faites qui brouillent notre regard sur le monde. Nous empêchent de nous y engager pleinement, et, partant, de nous engager tout court. Ainsi de cette table ronde avec Camille Brunel, Eric Richer et Francis Tabouret sur la cause animale. Un trio, parfois dissonant, toujours cordial, qui se sert de la littérature, des puissances de la fiction ou de la force paradoxale, descriptive et poétique, du récit, non pas pour étiqueter cet Autre, cet étrange étranger, pourtant si proche, qu’est l’animal, mais pour rappeler son irréductible complexité. Ou encore cette discussion entre Carole Zalberg et Abnousse Shalmani, portée, voire emportée, par la fougue chaleureuse de la parole croisée des deux écrivaines, qui évoquaient l’exil, et les images plus ou moins distordues qu’il suscite, les effets d’optique, du miroir à l’occultation, qu’il provoque entre l’ici et l’ailleurs, la patrie perdue et la terre nouvelle.
La littérature, et avec elle tous les arts, doivent faire acte de lucidité, décaper leur regard, notre regard, de tout ce qui l’opacifie, le trouble, pour mieux saisir le monde au plus près. Tel est en tout cas le voeu, mais aussi le constat, qui aurait pu servir de conclusion à la riche rencontre entre Johan Faerber, Jérôme Baron et Célia Houdart. Roman, théorie littéraire, cinéma, tout convergeait vers un même horizon, une même volonté : dire, montrer le monde, au plus près de ce qu’il est. S’y engager, on vous disait…