leopardiAprès Pasolini, voici donc Leopardi. L’Italie se retourne actuellement sur ses héros. Témoin le succès inespéré au pays de Boccace de cet hommage au génial poète romantique, toujours trop méconnu en France, malgré les rééditions récentes du Zibaldone et du Journal du Premier Amour. « Sombre amant de la mort, pauvre Leopardi » disait à propos de lui Musset. Mort à 38 ans, la vie de Giacomo Leopardi est un long calvaire qui couvre le début du XIXème siècle italien. Elevé dans le gigantesque palais familial, fils d’une mère pieuse et d’un père écrivain intransigeant, le jeune homme se consume d’ennui entre les murs couverts de livre de la cellule familiale. Pour tuer le temps, il lit, étudie tout en prenant vite conscience que cette érudition le consume également à petits feux. Belle idée : l’érudition est l’ange et le démon, l’antidote et le poison de ce poète romantique. Tout le film est construit sur deux niveaux à priori contradictoires : le futur auteur du Zibaldone passe ses journées à apprendre et à écrire mais rêve en fait de s’extirper des lieux d’étude pour parcourir la terre entière et confronter son immense culture classique au monde. Maudit, Leopardi rêve d’amour en désespoir de cause et ne trouve en guise d’affection que de profondes amitiés. Le cinéaste italien Mario Martone divise en plusieurs mouvements, séparés par de longues ellipses (dont une de dix ans), l’existence de celui que Nietzche considérait comme le plus grand et le plus influent poète et philosophe transalpin. Il suit cet artiste éminemment pessimiste depuis son foyer natal près de Rome jusqu’à Naples en passant par Florence et la découverte avec de la vie de Bohême et des vaines mondanités.

 

Double au plus profond, le corps malade, bossu, presque paralysé, quasi difforme de Léopardi (campé avec fougue et une grande dextérité par Elio Germano) est traversé par un tonitruant élan vital qui s’exprime dans ses nombreux poèmes que le cinéaste ose filmer dans leur continuité, au milieu de compositions romantiques. La lune éclaire le jeune homme en train de composer, il récite son très long chant existentiel – Le Genêt– sur des plans du Vésuve en éruption, dans un pays rongé par le choléra.

Dans la plus belle scène, découpée avec une vivacité feuilletonesque, Léopardi ose enfin affronter son père en lui faisant part de ses doutes, de son scepticisme religieux et social. Peu enclin au manichéisme, observateur de toutes les contradictions, le cinéaste n’accuse pas alors le géniteur tyrannique, le montrant au contraire soudain sous l’angle du père désolé de ne plus pouvoir suivre ni entendre les errances de foi de son fils adoré.

 

S’extirpant par à coups alertes de la simple illustration en costumes, le cinéaste ose quelques embardées oniriques et lyriques au cours desquelles le poète incrédule affronte de visu les Dieux antiques. Le film réaliste se grime alors d’effets spéciaux et lorgne vers le poème fantastique et mythologique. Ponctuant le voyage malade de Leopardi d’une musique électro pop éthérée de Sascha Ring, l’hommage réussit par sa légèreté – notamment dans la première partie – à s’extirper des ornières du biopic au formol, solennel et compassé, un peu à la manière du Amadeus de Forman.

 

LEOPARDI, IL GIOVANE FAVOLOSO de Mario Martone

Avec Elio Germano, Anna Mouglalis

Paname DISTRIBUTION, sortie le 8 avril