Comment filmer le Sida ? Les campagnes de prévention le rappellent régulièrement : si cette maladie n’occupe plus une grande place médiatique, elle n’en reste pas moins une épidémie qui existe toujours. Après s’être abattue notamment sur les cercles artistiques et intellectuels des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, elle a laissé des survivants qui continuent à lutter depuis ces années-là. La question que pose le titre du documentaire de Joaquim Pinto renvoie donc en premier lieu à l’avenir du réalisateur lui-même. Porteur des virus du Sida et de l’hépatite C depuis vingt ans, il s’interroge, à travers ce journal filmé, sur la suite d’un protocole médical ininterrompu et jusque-là peu efficace. Contraint de livrer son corps fatigué à des traitements expérimentaux, Joaquim Pinto recense face caméra les nuisances qu’apportent les différents médicaments. Ces plans, longs et saisissants, prennent à témoin le spectateur d’un dérèglement physique et psychique : trouble de la pensée, fatigue permanente, chaque effet secondaire est consigné avec le scrupule du cobaye scientifique. Le film lui-même apparaît alors comme une thérapie destinée à contrer ces effets, et à garder le contrôle de son propre corps.
Mais la question du titre s’adresse aussi au Portugal en crise, dont Joaquim Pinto évoque les souvenirs, de ses débuts comme ingénieur du son à la triste situation actuelle, en passant par sa relation à João César Monteiro, dont il était le producteur. Et maintenant ? est autant la chronique d’un pays que celle de la maladie. La forme du film suit au plus près les errances de l’esprit de Joaquim Pinto, embrouillé par les lourds traitements qu’il subit. Ainsi, les souvenirs surgissent sans ordre, convoqués au gré des associations aléatoires des pensées et des images, et ondulent parmi les pays et les époques qu’a traversés le réalisateur.
L’expression Et maintenant ? désigne enfin l’ambition du film : mesurer le temps, saint Augustin à l’appui (« [Le temps présent] ne se mesure qu’à son passage ; passé, il ne se mesure plus car il n’est plus rien de mesurable »). Ainsi, Et maintenant ? enregistre la vie de Joaquim et de son compagnon Nuno, mais aussi toute la vie qui les entoure, depuis leurs chiens jusqu’aux limaces, en passant par les arbres qu’ils plantent avec soin. Il en ressort un film très charnel : les deux amants s’embrassent, ils jouent, allongés sur la terre, avec leurs chiens, ils retournent la terre afin de la cultiver… La beauté et la sensualité de telles images accompagnent un appétit de vivre. Elles sont un moyen, pour le réalisateur, de déjouer la maladie établissant un contact permanent entre son corps décharné et la vie qui l’entoure et que la caméra enregistre. Cette attention de chaque instant permet au film de tracer des correspondances entre les différentes formes de vie, et de définir une sorte d’unité du vivant, une temporalité commune, maladie comprise. Le foisonnement de ce long document (près de trois heures) fait alors écho à celui de la nature, reprenant partout ses droits, et montre patiemment comme toute vie d’homme ressemble à des herbes folles.