Deuil et joie chez les cinéphiles. Avec Le vent se lève, Miyazaki met un point final à son oeuvre. Et tourne un film où soufflent les vents et l’esprit.
«Le vent se lève !… Il faut tenter de vivre ! » Répété comme un mantra tout au long du dernier film d’animation de Miyazaki jusqu’à son éblouissant final, ce célèbre vers emprunté au dernier sizain du Cimetière marin de Valéry est à prendre au pied de la lettre. Le vent finit toujours par se manifester ici à chaque plan, sinon à chaque scène : il se déploie doucement, se déchaîne soudain, souffle une mèche de cheveu. Même si on ne le voit pas toujours, le vent est là, il est partout : c’est lui le véritable héros de ce film où Miyazaki chante une fois encore, après entre autres Porco Rosso et Nausicaä, son amour pour les objets volants. Avec Le vent se lève, Miyazaki ose le biopic animé, la fresque intimiste pour conter la vie de Jirô Horikoshi, ingénieur aéronautique de légende qui construisit le fameux bombardier Zero, emblème de l’aviation nippone de 1940 à 1942. Ce vent, c’est celui emportant les hommes comme des fétus ; celui de cette tempête qu’est l’histoire ; des désastres du Japon de l’ère Taishô à l’ère Shôwa, durant les années 1920 au cours desquelles Jirô oeuvra à son grand oeuvre.
Ce vent emporte avec lui une nation condamnée d’avance à la catastrophe de la Seconde Guerre mondiale. Le vent charrie le destin du monde et des hommes comme celui de Jirô en quête de solutions pour régler des problèmes de fuselage et fabriquer un avion de rêve d’une légèreté inouïe. C’est le vent, celui-là même, qui allait décider de l’utilisation du Zero et en faire le modèle des bombardiers kamikazes (littéralement : « vent divin »). Ce vent-là balaie tout sur son passage, même les idéologies. Mais c’est aussi celui de la passion qui mène Nahoko, jeune fille atteinte de tuberculose, sur la route de l’ingénieur.
Grâce à l’animation, Miyazaki s’attarde à décrire ce vent de façon physique. Le vent secoue les herbes folles d’une prairie verdoyante comme le parasol blanc sous lequel Nahoko peint dans une robe jaune. Il déplace les nuages blancs, lesquels obscurcissent le ciel se mettant à gronder comme une bête sauvage. Au cours d’une scène dans une pension de montagne semblable à celle magique de Thomas Mann, Jirô lance à sa promise un avion de papier ; l’objet, au lieu de s’envoler, tombe de sa fenêtre ; au lieu de s’écraser au sol, comme l’un des nombreux prototypes du Zero, il s’approche d’un homme, lui frôle en rase-mottes le bras et repique aussitôt à la verticale ; il voltige alors le long d’un mur, tournoie avant d’atterrir doucement sur le balcon de Nahoko, séduite. Jamais auparavant, l’animation (mais la prise de vue réelle non plus) n’avait réussi à montrer avec un tel réalisme le déplacement d’un simple objet soumis à la force du vent. Chaque élément du décor semble guider le mouvement de l’appareil en lui conférant une trajectoire secrète que le cinéaste suit avec une précision méticuleuse, une rigueur mathématique.
Le vent est partout. Il s’engouffre par une fenêtre et caresse le visage de Jirô, endormi. Il insinue dans son esprit une longue rêverie au cours de laquelle le jeune garçon trouve sa vocation d’ingénieur. La vocation est bien un souffle divin qui décidera de l’avenir de Jirô comme de la nation japonaise. Il est une entité à part entière, en perpétuelle expansion animant toutes choses, matérielles ou spirituelles. C’est là que le film de Miyazaki est le plus surprenant : moins écolo vert qu’animé d’un réel panthéisme universel. Chez Miyazaki, si la création tout entière est spirituelle, son animisme inclut diverses natures : les choses organiques valent autant que les inventions mécaniques. Si bien que dans Le vent se lève, quand un avion tombe, il siffle. Quand un moteur explose, il râle. Animé de souffle, le monde vit : il respire, murmure, vocifère. Avec ce film rétrospectif et sentimental sur son travail et son pays, Miyazaki rend grâce au souffle du monde traversant toute son oeuvre. Le vent se lève en est d’ailleurs la plus aérienne manifestation.