D’abord un réalisateur : Michel Hazanavicius. On parle beaucoup de Jean Dujardin ces temps-ci, et à juste titre. Mais derrière strass et paillettes se cache un artiste qui se fraie, film après film, OSS après OSS, une voie. Une voie, pas une voix, cet homme est un homme du silence. Ce qui échappa souvent aux critiques ici et là, The Artist n’est pas tant un hommage à Murnau et autres muets qu’un film d’intimité. Il n’est pas tarantinien, Haza, l’aspect lisse qui lui a été reproché n’est qu’apparence : les clins d’oeil cachent une âme. Celui d’un homme qui fut autiste, et pour qui la parole reste un sujet délicat. Voyez Dujardin refusant de passer au cinéma parlant ; voyez Dujardin refusant de communiquer avec sa femme. Vous verrez The Artist, le vrai : Michel Hazanavicius. Nous l’avons longuement rencontré, histoire d’en savoir plus, puisqu’à ma connaissance, personne n’avait avant nous creusé de ce côté-là.
Nicolas Bedos : allez voir mon interview page 12. Sa pétulance est réjouissante. A writer is born.
Ensuite, un plaisir de lecture : Casanova. L’Histoire de ma vie, en 3 tomes (collection « Bouquins », Robert Laffont). L’actualité ? Une expo à la BNF, certes (mais c’est loin et au prix du ticket du métro…), un beau livre dirigé par l’infatigable Chantal Thomas, et surtout, une affaire Strauss-Kahn, où le monsieur fut comparé à Casanova. Alors les casanovistes fanatiques de Transfuge crièrent au scandale, bien pire à leurs yeux que le scandale dit de la chambre 2806 du Sofitel : il paraîtrait que c’était une nouvelle fois un moyen de tuer l’illustre coureur. Il était donc temps de refaire un point sur notre homme, c’est-à-dire un point sur l’état sexuel de notre société, qu’on devine, depuis Houellebecq, en petite forme. La question est posée : Casanova pourrait-il être l’avenir de l’homme ? Allons-nous vers « moins de couple », plus d’aventure, plus d’amour, plus de mots, plus de sexe assumé ? Le libertinage est-il l’avenir de la société ? Difficile à dire, mais en tout cas, un petit club de casanovistes, bruyants, conquérants, l’espèrent, et rêvent souvent, comme ils nous l’expliquent dans ce dossier, de retrouver l’humeur joyeuse d’une époque légère et perdue. Sortir du nihilisme : Casanova le permettrait. Toutefois Gabriel Matzneff nous met en garde de sa belle écriture qu’on lui connaît : pour un Casanovien, vieillir est une terreur. Et oui : la séduction s’étiole avec l’âge… Les jeunes femmes sont bien ingrates devant les hommes qui s’approchent de la mort.
Baudelaire, enfin, par l’Italien Roberto Calasso. Il est un grand penseur de la littérature, trop méconnu en France. Prenez par exemple La Littérature et les dieux, ouvrage définitif sur le lien qu’il y a entre le monde moderne et les mythologies, entre la littérature et le divin. Entre Schlegel, Novalis et l’irrationnel. Entre Baudelaire et le surnaturel. Les dieux reviennent et repartent au gré des époques, et les écrivains en révèlent leur présence ou leur absence. Cette fois-ci donc, Baudelaire. Approche originale encore que nous livre Calasso : il en fait le grand penseur du XIXe siècle, le poète métaphysique par excellence, sans être pour autant un lecteur de philosophie. Et il en fait un de nos contemporains dans l’obsession qu’il avait des images. Calasso nous dit cette chose qui ferait bondir plus d’un intellectuel : l’image est une forme de pensée, il ne faut surtout pas chercher à la bannir. Les iconoclastes n’ont qu’à bien se tenir !
Voilà pour les bonbons de ce mois-ci, allez-y, aucun n’est salé.