Le tout jeune Sétois, Maye, a déjà une vie bien remplie. L’ex-ouvrier a turbiné sur les chantiers, nous explique Baimba Kamara, chargé des expos à la galerie Itinerrance, il a ensuite posé sa patte dans l’univers du graf avant, autodidacte décomplexé, d’aborder la peinture stricto sensu. La roue tourne, c’est le titre de l’expo, et c’est sans doute aussi la roue de la Fortune qui tourne dans le bon sens sans s’interrompre, puisqu’il s’agit déjà de son deuxième accrochage solo à la galerie. Silhouettes longilignes, gracile, hybrides de créatures de contes, féées ou sorcières, et d’automates déjetés, comme des jouets brisés ; il flotte sur ses personnages un parfum de la folle liberté des jeux d’enfants. Dont il a la spontanéité, la capacité au jaillissement formel né de l’instant, à l’improvisation créatrice. Les dessins qu’on peut voir aux côtés des peintures ne sont ni des esquisses ni des études, mais des oeuvres à part entière et n’ont rien à voir avec un quelconque travail préparatoire. Car Maye se borne à quelques brouillons, et c’est ensuite, au moment de la confrontation avec la toile elle-même, que la composition prend chair et détails, qu’elle s’étoffe, dans une luxuriance sensorielle, l’artiste multipliant objets et accessoires.
Sur le fond des aplats lustrés de l’acrylique, Maye bricole, agençant tout un mécano de symboles et de fétiches qui reviennent de toile en toile : cartes à jouer comme les arcanes d’un tarot dont il aurait seul le chiffre, cages et oiseau comme chez un Prévert cyberpunk. On hasarde précisément l’hypothèse d’une influence du cyberpunk et Baimba Kamara reconnaît bien des affinités, parle d’une peinture très référencée. On songe à Dali pour cette façon à la fois maniériste et oniriste d’étirer les traits et les membres dans des paysages de fin du monde, ou de recommencement du monde, on invoque aussi bien Tim Burton pour l’aspect poupée vulnérable des figures. Mais, s’empresse de préciser notre interlocuteur, il ne s’agit en aucun cas d’une peinture « savante », mais d’absorptions plus ou moins inconscientes, de convergences d’imaginaires. Même si le sien a un ancrage géographique bien défini, ce Sud-Est dont il fait jouer aussi bien les poncifs folklorisants, guitares et Camargue, que des emprunts à des cultures marginales – celle des Tsiganes, des roulottes à l’art poétique du chiffonnier. Un jeu aux confins de la magie, qui métamorphose les cloaques et les mouroirs de nos objets quotidiens, les dépotoirs et les décharges en vastes bacs à sable, où peuvent s’ébattre les mille récits que chaque toile suggère. Et si la force de l’enfance est sa plasticité, sa capacité d’adaptation, alors Maye peut encore à bon droit s’en réclamer. Il y a ainsi un versant écolo à l’expo, mais la rêverie autour du déchet n’est ni une déploration, ni un prêche – mais une mise en scène de la façon dont, pointe Baimba Kamara, on peut rendre viable un milieu a priori invivable, comment on peut se réconcilier avec l’usure et l’obsolescence, exorciser le sabordage planétaire.
Exposition Maye, La roue tourne, galerie Itinerrance, jusqu’au 7 juillet, Paris