Médium fait dériver le lecteur dans la lagune de Venise, à l’écoute des voix de Pascal, Saint-Simon et autres spectres… Un roman plus sollersien que jamais.
Qu’est-ce qu’un grand romancier, au fond ? Un magicien qui voyage sans corps dans le temps, autrement dit un médium. Dans certaines circonstances particulières (un lieu et une formule), il est susceptible d’entrer en contact avec les esprits.
Bon, le lieu pour la « magie médiumnique », selon l’auteur de Trésor d’amour ? Venise. La formule ? On la doit à Pascal : « Qui aurait trouvé le secret de se réjouir du bien sans se fâcher du mal contraire, aurait trouvé le point. C’est le mouvement perpétuel. » Ce point, en effet, est magique. Et cette formule, en soi, est un programme !
Sollers est un grand romancier donc son narrateur, c’est-à-dire son double, est médium. Le voici d’ailleurs, pour ses expériences, dans la Sérénissime, à La Riviera, un restaurant des zattere dans lequel il a « invité », un soir, Saint-Simon et Lautréamont, « deux disparus sans âge » : « Ils me parlent à voix basse, et leurs voix sont les plus vivantes qui soient. Je poursuis leur lecture chez moi, et, parfois, j’allume une bougie pour mieux les entendre. L’avenir révolutionnaire nous appartient : je leur dis ça. » Oui, mais pourquoi à eux ? Parce qu’ils sont aussi des « médiums » (quels médiums !), et qu’ils ont compris (leurs livres le prouvent), que « l’humanité est entrée dans une grande marée de magie noire » et que « seule une nouvelle contre-magie peut faire le poids face à elle ».
Le monde est fou, ce n’est pas neuf – Pascal l’a bien vu –, mais le mouvement perpétuel de la folie s’accélère, sa vulgarité aussi, « l’usine des cadavres » fonctionne à plein. Voici qu’on nous parle sans cesse de PMA (« Parfaite Mort Assistée »), et de GPA (« Gestation Posthume Assurée »). Le médium résume : « Naissez, faites naître, occupez-vous de ce qui naît, soyez utile, taisezvous, mourez. » C’est sec mais c’est net, la folie n’a pas le temps, elle n’a pas de mémoire non plus, time is money. « L’argent dit la vérité de la liberté, celle de la démocratie, sans laquelle le monde, dit à juste titre la folie, ne serait que folie. »
Revenons à Pascal. Il s’agit, en effet, de « trouver le point ». C’est la formule secrète du bonheur. Ce point, c’est celui de l’identité heureuse. Mais comment, dans un monde de fou ? Juste une question d’organisation, de discipline militaire. C’est une guerre.
Le nouveau roman politique de Philippe Sollers est un magistral manuel de contre-folie. Le « professore » –c’est ainsi qu’on appelle, à La Riviera, le héros de Médium – est un révolutionnaire. Un agent double de la folie qui nous renseigne sur ses exercices spirituels (il prend des « produits », se fait prodiguer des massages médiumniques par une jeune italienne), un agent très secret qui aurait trouvé le « point ».
La contre-folie est un art. Et Sollers, un grand artiste.