Exposition Michael Jackson : On the Wall, Grand Palais, jusqu’au 14 février
Michael Jackson exposé au Grand Palais ? Côtoyant les derniers flamboiements de la Venise du XVIIIe et les alphabets cosmiques de Miro qui s’épanouissent dans les salles voisines ? Certes, Michael Jackson a repris le sceptre d’Elvis, il a été intronisé « King », mais sa souveraineté ne s’étendait-elle pas sur le plus éphémère des royaumes, celui de la pop music ? Un art fugitif, fabriqué de toutes pièces, de surcroît ? Eh bien, justement, c’est parce que le prince des danseurs fut l’homme de l’artifice par excellence, l’homme de toutes les fabrications, qu’il est aussi homme de l’art. Qu’il se situe au carrefour de toutes les interrogations qui irriguent, comme autant d’affluents, un art contemporain obsédé par le factice, l’anti-nature, la copie, les constructions identitaires… La convergence entre le Moonwalker et les kings de l’art, les David LaChapelle, les Andy Warhol (on verra notamment la cover d’Interviewde 1982), les Mark Ryden (qui a réalisé la pochette de Dangerous), est aussi juste qu’évidente. Et la palette des oeuvres retenues, vidéos, peintures…, le spectre des découvertes (mention spéciale aux jeux sur les photos et les encadrements de Todd Gray ou à Dawn Mellor) sont aussi riches que cohérents. Bref, on est ressortis en esquissant un (pitoyable) pas de danse : cette expo est sans nul doute l’une des plus stimulantes du moment.
Une vidéo de Michael Gittes, Masters at Work, qui combine des extraits du clip de « Billie Jean », mais pirate la bande-son en y substituant le « Fly Me to the Moon » de Frank « old blue eyes » Sinatra, et en quelques minutes, c’est tout le processus d’hybridation, de métissage qui forme le creuset de la musique pop qui se manifeste. Noirs et Blancs, musique et voix, bidouillages à base de découpe et d’assemblage, télescopages : tout un manteau d’Arlequin visuel et sonore, celui qui définit les tubes. Et plus encore, peut-être : la condition postmoderne de l’artiste contemporain, celui pour qui toutes les cultures, tous les médiums sont disponibles, et qui travaille comme d’autres samplent. Ou comment Michael Jackson devient une espèce de « personnage conceptuel » quand l’art d’aujiourd’hui tente de se penser lui-même.
Une paire de mocassins, reconnaissables entre tous, soulevés par des ballons (une oeuvre d’Appau Junior Boyake-Yadom) : le corps (du roi) est absent, mais les attributs sont là : l’esquisse du pas de danse, les accessoires. Et on reconnaît tout de suite Michael. Phénoménologie de la perception, de notre perception : on construit les figures et les êtres, extrapolant à partir d’un détail ou deux, plus qu’on ne les voit. Michael Jackson devient un outil d’investigation, une façon de poser la question des identités, construites, bricolées, recomposées…
C’est que Michael Jackson n’est pas seulement Off the Wall, il est off the world, out of the world. Michael Jackson repousse les limites de la nature telle qu’on la connaît – et ce n’est sans doute pas un hasard si la vidéo qui clôt l’exposition, de François Chaignaud et Nino Laisné s’intitule Mourn, O Nature !. Via Michael Jackson, peint en zombie par Dawn Mellor, montré comme un visage masqué qui serait lui-même l’élément monumental d’un parc d’attractions par Mark Ryden, les artistes font moins des portraits du chanteur qu’ils ne captent les états d’une mutation, le flux d’une métamorphose. Qui est une véritable réinvention de l’humain, qu’il s’agisse d’en faire un monstre ou une machinerie, un zombie chez Mellor, une immense machinerie chez Ryden. Mais sortir de la nature, c’est aussi peut-être s’élever au divin, ou à la sainteté. Comme sur les immenses photos sulpiciennes de David LaChapelle. « King of Pop » ? « God of Pop », oui !