Ant Hampton et Rita Pauls ont leur propre méthode pour apprendre une langue. Voyageant en Allemagne pendant six mois, ils ont demandé autour d’eux ce qui valait la peine d’être dit. Ils portaient pour une Soirée Nomade à la fondation Cartier, les mots de l’Europe en allemand
Qu’est-ce qui doit être rendu public, qu’est-ce qu’il faut faire entendre ? Après le traumatisme du Brexit, Ant Hampton et Rita Pauls ont inlassablement posé la même question avec le soucis de donner la parole à des anonymes, de prendre le pouls de l’Europe à travers l’Allemagne où de nombreux artistes sont déjà parti s’installer. Leur projet à une urgence sociale qui fait écho au mouvement français des gilets jaunes et à leurs cahier de doléances. On y entend les doutes quant à l’avenir, le repli sur soi et le souvenir de murs jamais très loin. Des hommes, expriment leur ostalgie, leur envie de revenir dans cette Allemagne de l’Est rêvée où le chômage n’existait pas. Des femmes expriment leur opposition à la politique migratoire de Merkel avec une xénophobie plus ou moins assumée. Ces témoignages traduisent tous une même défiance envers le politique et les institutions européennes et nous alertent sur le mode de la répétition, de la litanie.
La pièce n’a rien d’objectif et procède d’un montage de paroles rapportées qui transcrivent davantage une expérience personnelle qu’une réalité objective. Le spectateur manque de précisions sur la géographie, l’horizon sociologique des paroles rapportés. Les individus ne sont même pas nommés mais par leur flot de paroles forment une foule qu’on ne sait par quel bout prendre. Mouth Piece n’est pas une pièce documentaire mais pas tout à fait non plus une performance sur la faculté de langage. La montée des populismes pose la question de la représentatitivé ; les performeurs proposent un jeu de ventriloquie. Ant Hampton et Rita Pauls accumulent les effets mais la réalité les rattrappe et les mots semblent leur manquer. Ils n’offrent pas de conclusion.
photo: Marc Domage
Vu à la Fondation Cartier pour l’art contemporain le 22 mai 2019