S’ennuyer n’est pas chose aisée, le rendre palpable à travers l’écriture encore moins. Difficile balance entre une description assommante et des actions suffisamment fades. Et pourtant, c’est d’ennui que sont modelés les nombreux personnages du livre d’Aurélien Delsaux, Pour Lucky. Campé dans le décors d’une banlieue provinciale abandonnée par les services publics, le récit suit le parcours de Lucky. Lucky, c’est ce jeune ado intéressé par rien, qui traîne sans but en bas d’un immeuble et qui rêve. Accompagné d’Abdoul et de Diego, il traverse, le temps du livre, l’année de seconde au lycée Albert Camus. Comme pour beaucoup d’autres adolescents, cette dernière est ponctuée de disputes avec les copains, de “tu as pensé à ton avenir ? » et de pression sociale à tous les niveaux. Fresque de la jeunesse actuelle, c’est aussi avec un style oral et familier qu’Aurélien Delsaux réussi à viser juste. Dans Pour Lucky, pas d’embarra avec l’orthographe, les “chuis » fusent tandis que les incohérences orthographiques comme “Alors plus loin il se souvient aussi, ça raconte en lui » dévoilent avec simplicité la poésie d’une langue orale souvent usitée mais rarement maîtrisée. Retour avec l’auteur sur cet ouvrage, invitation à une jeunesse plus libre.
Tout au long du roman il y a la présence de voix qui résonnent dans l’esprit de Lucky, que représentent-elles ?
Le roman est né d’une rêverie autours du poème de Baudelaire “La Voix ». C’est un poème sur la vocation où le poète, malgré son malheur face au monde, a en lui cette voix qui lui dit “Garde tes songes : Les sages n’en ont pas d’aussi beaux que les fous ». J’ai l’impression qu’on entend tous ces voix dont on ne sait pas trop que faire : celle du désir, de la mort, de la peur… Mais, j’ai aussi le sentiment que les jeunes n’ont plus le droit de les écouter c’est à dire de s’écouter eux même. Ils n’ont plus cette marge de manoeuvre. Désormais, il faut avoir un projet, il faut savoir ce que l’on veut faire.
Peut on en ce sens parler d’une pression exercée sur la jeunesse ?
On est dans un pays de plus en plus vieux où la jeunesse semble parfois être un grand organisme censé lutter contre le chômage. Nous n’invitons plus les jeunes à rêver leur vie. Par exemple, quand j’étais professeur, mes élèves avaient 1h30 de cours d’orientation par semaine ce qui est absurde quand on a seulement 15 ans. Je crois qu’aujourd’hui, en France, il existe aussi des endroits où il est difficile de réussir et où, si l’on veut y arriver il faut partir.
Pourtant, le livre n’est pas sombre, il y a un véritable espoir qui émane du personnage de Lucky…
Lucky n’a pas les mots pour exprimer son immense désir de vivre, il en souffre et pourtant il n’y a rien de désespérant car il découvre autre chose. Il découvre que le ciel étoilé est un cadeau merveilleux et que si l’on laisse son regard se projeter très loin, la vie est loin d’être foutue ! Finalement, contrairement à ce que disent les adultes, le plus important n’est pas juste d’avoir un projet.
Pour Lucky, Aurélien Delsaux, Les Editions Noir sur Blanc, 288p, 17euros, en librairie