Pourquoi s’intéresser aujourd’hui à Mai 68 ?
Camarades est né à la suite du spectacle Frères qui traitait de la Guerre d’Espagne à travers le récit fait par deux frères de leur grand-père engagé dans l’anti-fascisme avant de devoir s’exiler. Trois thématiques avaient émergé : l’engagement, les utopies et l’héritage. Lorsqu’il a fallu décider de la suite, on avait le sentiment de ne pas avoir fait le tour complètement de ces thématiques. Ce moment coïncidait avec les manifestations contre la loi travail où le spectre et le fantasme de Mai 68 resurgissait, comme un idéal d’engagement et d’utopie. On a alors eu envie de mieux connaître cet évènement. Nos parents étaient trop jeunes pour y avoir pris part et nous n’en avaient donc pas parlé. Nous voulions par ailleurs raconter une autre histoire de Mai 68, qui pouvait nous être plus proche, liée notamment à la région de Nantes et Saint-Nazaire d’où nous venons.
Comment est né le personnage central de Colette ?
On a commencé par un processus d’entretiens. Rencontrer des personnes et leurs histoires nous permet ainsi d’y piocher un fait marquant, une émotion, une caractéristique qui nourrissent notre travail. On a d’abord rerencontré nos parents en découvrant leur jeunesse que l’on connaissait mal. Puis des personnes un peu plus âgées qui avaient participé directement à Mai 68. Benjamin Ducasse a recueilli le témoignage d’une femme qui lui a raconté comment elle était devenue féministe et ce qui s’était passé dans sa vie de manière intime et politique. On a donc choisi de partir de l’histoire de cette femme pour écrire l’histoire de Colette, le personnage principal de notre spectacle, car il nous semblait qu’il y avait un enjeu essentiel à raconter cet engagement.
De quelle manière prend forme la rencontre entre ce que vous avez collecté et l’histoire ?
Pour Camarades, on s’est saisi de la craie blanche et de sa poussière comme objet central. Le travail avec les matériaux et les objets nous permet de bousculer tout ce qu’on a collecté. En répétitions on dispose les objets que l’on a rassemblés – le plateau ressemble alors un peu à une brocante -, pour s’en saisir afin d’improviser et de créer un récit. La craie renvoie à la prise de parole, si importante dans Mai 68. On a le sentiment que toutes les idées qui ont émergé à ce moment peuvent se retrouver en péril dans notre société, et finalement la craie peut s’effacer même s’il en restera toujours une marque sur le tableau noir. C’était ainsi une manière de raconter cette génération, avec le portrait en creux d’une femme la représentant. On voulait par ailleurs porter un regard positif sur cette génération car on ne ressentait pas de rancoeur à son égard. C’est une double histoire qui se joue, celle d’un personnage mêlé à celle des narrateurs qui la raconte, et c’est là que l’on raccroche avec notre époque.