Violoniste hors pair, enseignante et critique musicale chez Transfuge, Marina Chiche est venue nous parler de sa relation à la musique classique à l’occasion de la sortie de son nouvel album, Post-scriptum. Un ensemble brillamment interprété et accompagné au piano par Aurélien Pontier.
Peux-tu nous parler de ton dernier album ?
Post scriptum est une sélection de miniatures – « bis » – qu’on joue en rappel à la fin d’un concert. Ce sont des petites pièces qui peuvent sembler moins ambitieuses mais qui sont très chargées émotionnellement, On alterne entre quelque chose de lyrique, virtuose et mélancolique parfois à l’intérieur d’un même morceau. C’est un répertoire souvent méprisé alors qu’il contient des pièces vraiment bouleversantes.
Pourquoi ce titre, Post scriptum ?
Il m’est apparu par une sorte de clin d’oeil étymologique puisqu’il évoque le geste de la transcription, de l’arrangement. Avec le « bis » il y a aussi cette idée d’un après, de même que l’on peut écrire une longue lettre et la clore par un P.S. qui va bousculer rétrospectivement le sens. Au XXe siècle, certains allaient voir Fritz Kreisler (1875-1962) ou Vladimir Horowitz (1903-1989) en concert uniquement pour ce moment précis et cette tradition s’est un peu perdue.
Comment envisages-tu le processus d’interprétation ?
Sur Post scriptum, il y avait deux choses à prendre en compte : il y a ces grands artistes – Fritz Kreisler et Jascha Heifetz (1901-1982), auxquels je rends hommage – qui sont à la fois compositeurs et arrangeurs et dont on possède des enregistrements (contrairement à une grande partie du répertoire classique). Puisqu’on sait théoriquement comment ça devrait être joué, il faut donc trouver à la fois un espace de réception pour leur rendre hommage et laisser place à une interprétation personnelle qui n’est pas une simple imitation.
Quel rapport as-tu à l’instrument en tant que tel ?
C’est un rapport très dynamique. Même au-delà de l’objet, sa présence est une omniprésence. On peut soit se cacher derrière l’instrument ou s’exposer à travers lui, dans une sorte de double-jeu entre le masque et l’identification. D’ailleurs on rappelle souvent que le violon a une « âme » (nom donné à la petite tige de bois maintenue entre la table et le fond de la caisse de résonance).
D’après toi c’est important de transmettre cet art à la jeunesse ?
Pas seulement à la jeunesse. Je défends l’accessibilité mais pas à n’importe quel prix. La musique classique a beaucoup à faire mais n’a pas à s’excuser d’être ce qu’elle est. C’est très gratifiant de parvenir à transmettre quelque chose qui est exigeant sans trahir son essence. Avec le bon cadre, les personnes s’ouvrent plus aisément. Ce qui m’intéresse c’est de créer les conditions de cette réceptivité.
La musique classique renvoie souvent à l’image d’un milieu très sélectif et conservateur…
Il y a quelque chose de sélectif dans la maîtrise de l’instrument et des codes. Mais elle est beaucoup plus accessible que l’on ne pense, c’est pour cela que j’ai créé un blog sur le quotidien des musiciens. Il y a une légitimité à vouloir préserver une excellence et en même temps vouloir se réinventer. Il est intéressant de conserver cette pluralité sans pour autant basculer dans le relativisme ambiant. On a longtemps enfermé la musique classique dans une vision bourdieusienne de l’habitus bourgeois, or il serait temps de la repenser au-delà de cette analyse sociologique et de voir ce qu’elle peut nous apporter de manière très pragmatique.