Hélène est handicapée depuis sa naissance en 1985. Elle est diagnostiquée autiste très déficitaire. Elle ne peut ni parler ni écrire. Elle passe les 21 premières années de sa vie murée dans l’incommunicabilité. Pourtant, en 2006, la mère d’Hélène découvre qu’elle sait lire. Elle peut aussi composer des phrases à l’aide d’un alphabet en lettres plastifiées. C’est enfin pour elle la possibilité de dialoguer avec l’extérieur et de livrer un peu de son monde intérieur. Dans des aphorismes poétiques, elle se décrit comme “lot mal calibré, ne rentrant nulle part » ou comme un “orateur sans frontière, interdit de passeport ». Ses écrits intéressent le metteur en scène de théâtre Pierre Meunier, qui décide de les utiliser dans un spectacle. Hélène prend alors le nom d’artiste de Babouillec… et devient aussi, durant 1h27, l’héroïne de ce sidérant documentaire.
Babouillec est ici avant tout un grand personnage de cinéma, un être “filmomagnétique » comme elle le dit si bien. Ses intenses pulsions de vie dévorent le cadre, entre éclats de rire, crises de décompensation, et longs instants où elle semble simplement observer le monde. Ses réactions ont ceci de fascinant qu’elles sont toujours situées entre l’identifiable (la joie, la peur, la pudeur, l’expression artistique) et l’insaisissable.
Souvent au centre du plan, Babouillec y est pourtant rarement seule. Elle est toujours filmée en interaction avec des gens qui arrivent plus ou moins à dresser des ponts avec son univers. Sa mère est bien sûr celle qui la déchiffre le mieux. D’autres, comme le metteur en scène de théâtre avec qui elle travaille, apprennent peu à peu. Le contact avec le monde ne semble se faire que par le biais de la poésie – voir cette séquence où elle danse sur une chanson d’Alain Bashung qui passe à la télévision. Leurs univers semblent communiquer : même sensibilité abstraite, même façon d’utiliser le vocabulaire et les mots comme un grand jeu ludique.
Dernières nouvelles du cosmos nous ramène en réalité au but originel du cinéma : essayer de saisir l’autre dans sa vérité. Faire de la caméra un rayon infrarouge pour pénétrer au coeur de l’étrangeté absolue que représente l’humain. Les mystères de Babouillec paraissent inépuisables dans tout ce qu’ils soulèvent sur le cerveau, l’inné et l’acquis. Comment a-t-elle appris à lire ? Comment maîtrise-t-elle si bien l’orthographe ? Comment connaît-elle tout ce vocabulaire ? Comment un être aussi coupé du lien social peut-il être capable d’une telle poésie, donc d’une telle compréhension du monde ? Julie Bertuccelli embrasse ces interrogations sans y apporter de réponses. Ce film est l’écho de son enthousiasmée, enthousiasmante, contagieuse fascination.