On ne tarde pas à comprendre que Bollywood est très loin. Kanu Behl mise pour son premier film sur un réalisme optimal. Il ancre méthodiquement son récit dans le décor d’une ville, Delhi, et en particulier ses quartiers pauvres. Les méfaits d’une fratrie de braqueurs de voitures, Vikram, l’aîné, Baawla, le cadet et Titli, le benjamin, sont filmés sans détour, au plus près de leur brutalité. Titli, une chronique indienne part ainsi d’une base très factuelle, les combines et passages à l’acte de pieds nickelés d’aujourd’hui, pour mieux observer l’émancipation d’un personnage. Marié de force avec une voisine, Neelu, Titli suit d’abord la logique viriliste de ses frères, en tentant par exemple de la violer le soir de leurs noces, pour progressivement changer son fusil d’épaule.
Le regard extérieur de la jeune femme sur l’extrême violence de ses frères pousse Titli à négocier. Alors qu’une nuit elle tente de s’enfuir, il est amené, peut-être pour la première fois de sa vie, à écouter une autre voix que celles, exclusivement autoritaires, de Vikram et Baawla. Face à sa résistance, il comprend que c’est en pesant ses mots qu’il gagnera la confiance de Neelu. Scène décisive. Après une première partie essentiellement centrée sur les initiatives clandestines de Vikram et ses frères, la parole tient ici une place essentielle. Titli doit courir après Neelu non seulement pour la rattraper, mais aussi faire sa connaissance. Cette fuite nocturne est l’occasion pour le jeune homme d’établir un dialogue avec « sa femme ». Pour s’entendre, tous deux doivent enfin tenir calmement dans un même plan, sans intermédiaire.
Mais la mise en scène de Kanu Behl ne se détend pas pour autant. Le sentiment d’oppression ne s’estompe pas : le couple doit échafauder des stratagèmes pour sortir de la maison familiale. La promiscuité est rendue avec une telle acuité que l’on craint toujours de voir le peu d’intimité du duo troublée par un intrus. C’est par le jeu des regards que Titli et Neelu scellent un accord tacite. Ils vont devoir faire profil bas. Car à défaut d’être malins, les aînés, sous la bénédiction d’un père aussi taiseux que complice de leurs entreprises, sont totalement maîtres des lieux. Toute tension entre les jeunes mariés doit donc être réglée à l’extérieur ou, au pire, dans leur chambre, en contenant au maximum les éclats de voix.
Débutant comme un thriller efficace, bifurquant à deux ou trois reprises vers l’horreur pure, Titli, une chronique indienne prend progressivement la dimension d’un mélodrame sec à l’issue totalement incertaine. Incapable de se défaire de sa culpabilité envers ses frères, mais aussi envers Neelu, Titli n’est pas sans évoquer le Raskolnikov de Crime et Châtiment.