Le cinéma israélien sur la guerre avec la Palestine, on connaît. Mais Tom Shoval, comme récemment Eytan Fox, dissout cette spécificité israélienne dans un contexte plus global. Dans Youth sévit un tout autre conflit que celui opposant Israël à la Palestine : la crise économique mondiale ; une guerre d’un genre nouveau que Shoval décline comme un motif d’enfermement.
Youth est un film de séquestration ayant lieu sur une journée. Yaki et Shaul vivent dans un appartement de la banlieue de Tel-Aviv. Ils s’apprêtent d’un jour à l’autre à devoir le quitter, suite au récent licenciement de leur le père. Pour y remédier, ils kidnappent une jeune fille riche du lycée et l’enferment dans la cave de leur immeuble. Ils exigent de ses parents la somme dont leur père a besoin pour garder l’appartement. Seulement, ils ont oublié que le soir même, ils fêtaient shabbat en famille.
Cet enfermement des espaces figure l’aveuglement plus ou moins volontaire des personnages comme d’Israël face à ce conflit d’un genre nouveau. À quelques jours de devoir abandonner leur appartement, les aînés de cette famille font comme si de rien n’était. Ils restent confinés chez eux et reçoivent des cousins à dîner. Le père ne change rien à ses habitudes et leur offre de superbes victuailles comme si sa situation financière n’avait pas changé. Les adultes ne parlent pas de ce qui les préoccupe : guerre, crise économique. Ce confinement est aux limites du déni. Si les enfants ont décidé de prendre le taureau par les cornes, ils ne savent pas comment affronter le problème sinon en reproduisant chez eux la seule action de combat à laquelle ils sont habitués : la guerre. Shaul et Yaki se cherchent donc un ennemi, commettent d’emblée une grossière erreur. Sur la base de rumeurs et de préjugés, ils s’imaginent que Dafna n’est pas juive. Comme si cela leur donnait une quelconque légitimité pour la maltraiter. Enfermés dans leur logique belliqueuse, ils plongent sa tête dans un sac, au risque de l’étouffer, comme si elle était moins une personne qu’un ennemi interchangeable. Jusqu’au dénouement, Shaul et Yaki s’entêtent, refusant d’accepter le réel : à savoir que les parents de Dafna, pendant shabbat, ne répondront peut-être jamais au téléphone.
Cet enfermement des esprits conduit donc à une situation absurde. Shoval filme ses personnages dans des gros plans ou des cadres fermés, anxiogènes, pour figurer ce refus de s’ouvrir l’esprit, d’accepter la crise (les parents) ou de réfléchir à d’autres possibilités que celles consistant à reproduire la guerre. Durant le dîner, Shaul et Yaki doivent s’absenter de table l’un après l’autre, s’isoler pour consulter leur portable et descendre voir Dafna. Shoval joue habilement de cette double localisation : entre appartement et cave, entre fête traditionnelle et kidnapping, discussions animées, souvent chaleureuses, et violence extrême. De cette opposition, il en tire même une certaine force tragicomique lorsque tout se dérègle et que la situation commence à leur échapper. Ainsi cette scène où Shaul se voit dérober le portable de Dafna par une petite cousine capricieuse. Shaul la course dans l’appartement, tentant de l’amadouer. À mesure que l’attente de la rançon se fait pressante, Shoval montre des gamins incapables de réagir sereinement. Très vite, ce sont eux, Yaki et Shaul, qui paraissent prisonniers d’une situation à laquelle ils ne peuvent faire face. Dans cette nouvelle guerre, ils devront réaliser que la prise d’armes ne leur est peut-être d’aucune utilité. Si les adultes sont déjà condamnés face à ce monde nouveau et globalisé, sans ennemis à combattre, les enfants de Youth devront apprendre à regarder ailleurs, à s’ouvrir au monde. Ce premier film percutant, tendu d’un bout à l’autre, inaugure avec fracas une nouvelle ère du cinéma israélien : un vraicinéma social – au sens économique.