Depuis plus d’un an, Room 237 fait le tour des festivals, provoquant partout stupeur et enthousiasme. Son réalisateur Rodney Ascher livre un objet hybride, à la fois documentaire sur les exégèses infinies de Shining de Kubrick et ode aux spectateurs.
Tel un cinéaste totalitaire, Kubrick a engendré des spectateurs d’un nouveau type. Cinéphiles qui bâtissent leur rapport aux films sur cette assertion répandue : avec Kubrick, il n’y a jamais de hasard. Encore moins dans Shining qu’ailleurs. Un faux raccord, une erreur de scripte peut ad libitum devenir l’élément clé de toute une lecture symbolique du film. Il y a forcément quelque chose à comprendre, à voir dans les recoins du cadre. La vision se fait jeu de piste. Et la recherche des intentions de l’auteur (comme si l’oeuvre était nécessairement un message codé) semble faire sens chez Kubrick. Room 237 (du nom de la fameuse chambre de l’Overlook Hotel) part à la rencontre de quelques-uns de ces enquêteurs maniaques de Shining. Et dresse le portrait d’une cinéphilie de la vidéo et du DVD, lesquels permettent l’arrêt sur image, les ralentis et autres outils d’une herméneutique poussée. L’un est professeur d’histoire, un autre journaliste, une autre encore dramaturge. Rien ne les réunit sinon leur intérêt quasi autistique pour le chef d’oeuvre de Kubrick, et leur art de l’investigation visuelle. Shining serait un film sur la Shoah, sur le massacre des Indiens d’Amérique, ou encore un témoignage caché du cinéaste sur sa participation à la supposée fausse expédition Apollo en tant que metteur en scène des premiers pas sur la Lune. Il est aussi question de numérologie (récurrence du nombre 42) et de mythologie grecque. Une sorte de paranoïa gagne peu à peu les spectateurs. Du documentaire cette fois. A l’écran, on ne voit jamais les gens interrogés, mais les extraits de Shining dont il est question, ralentis, accélérés et alternés avec des images d’autres oeuvres de Kubrick et quelques films d’horreur. La récurrence des plans de Shining finit par nous convaincre de la validité de toutes ces théories. C’est la grande force de Room 237, qui parvient à rendre l’analyse presque plus cinégénique que le film lui-même. La vision des spectateurs est mise en scène, et les images qui défilent sont moins des illustrations de propos que des séquences d’un nouveau film, un métafilm d’horreur électrisé par sa bande originale. La plus belle séquence, à ce titre, est celle qui montre durant plusieurs minutes Shining projeté en lecture normale et inversée, superposant le début et la fin du film pour illustrer la théorie du palindrome. Des images nouvelles apparaissent, faisant cohabiter les visages, prenant en étau les personnages. Un petit miracle naît finalement de toutes ces lectures entêtantes : l’identification avec Jack Torrance semble advenir par la mise en scène des codes, faisant du spectateur un aliéné obsessionnel.