J’ai rencontré une première fois Simon Liberati lors d’une soirée, il y a des années de ça. C’était aux alentours de 2004, car il avait déjà fait paraître son premier roman, Anthologie des apparitions, livre qui, pour moi, avait été un choc. Je suis allé le voir, la musique était très forte, Asia Argento mixait (je crois), il était assis, la tête baissée, les yeux fermés. Bonjour, Simon, Vincent, j’ai beaucoup aimé votre livre. Il ouvre nonchalamment un oeil, et le referme.
Il ne faut pas avoir trop de principes dans la vie, sinon on ne parlerait plus à personne. Je ne lui tins pas rigueur de cette fin de non-recevoir et continuais à le lire, roman après roman. Nada exist, 2007. L’Hyper Justine, 2009. Des romans autofictionnels, aux allures décadentistes, aux tournures de phrases en arabesque, teintés de romantisme noir. Des milieux branchés où l’on est cultivé, où on fait la fête, où l’on se drogue. Des milieux dont je suis éloigné mais qui méritent qu’on s’y intéresse. J’étais un lecteur très emballé devant cet écrivain qui traçait une voie propre. Avait-on déjà vu en littérature contemporaine de l’autofiction à la langue décadente ? Jamais. Je commençais à me dire qu’un jour Simon Liberati, dans le genre trip sur table, serait le pendant de Catherine Millet. Il faudrait qu’il taille encore un peu dans ses textes parfois trop denses, touffus et immobiles. Ce qu’il fit avec son Jayne Mansfield 1967 en 2011 qui obtint le prix Femina. Le livre ne me plaît pas, la langue est plus accessible, plus simple, mais elle a perdu de sa saveur d’antan. L’Amérique lui va mal, ou bien ne plus parler de lui-même lui convient moins bien. Pour que je retrouve le sourire, il faut attendre l’année 2013 et l’édition de son merveilleux ouvrage, 113 études de littérature romantique, pour lequel il fait la couverture de Transfuge. Il s’agit de revisiter les auteurs qu’il affectionne, les textes qu’il admire, mais à chaque fois, par la serrure. Par des détails qui révèlent, des anecdotes qui racontent, des appartements qui en disent plus sur un auteur qu’un long discours. Son fétichisme se dévoile de manière évidente.
Si on avait pu m’apprendre l’histoire littéraire comme ça… Il y fixe sa langue, moins décadente mais plus classique. Langue prête à se déployer pour faire roman. Ce qui arrive ce mois-ci donc, avec Eva, et qui fait notre couverture de rentrée littéraire.
Le livre raconte sa rencontre amoureuse avec Eva Ionesco. Liberati l’a connue jeune, les années Palace. L’a perdue de vue et l’a retrouvée il y a deux ans. Il raconte beaucoup sur leur intimité. Dissèque le sentiment amoureux à la manière de Proust, se fait moraliste à la façon d’un La Bruyère, baudelairien dans son goût de l’artifice. Voyez par exemple cette description d’Eva, cette leçon de style, un très beau passage parmi tant d’autres : « Eva n’a pas changé, c’est la même grande fillette, avec ses maladresses, ses criailleries, cette manière gauche et sexuée d’occuper l’espace, de sentir fort, de manger bruyamment, de crier sur les autres comme un enfant sauvage, de quémander les caresses, de me regarder avec toute cette tristesse (…) et qui n’est peut-être qu’un leurre envahissant, une aspiration plus qu’un échange, au sens où le vampire aspire et où l’araignée suce, une présence qui cherche à vider l’espace de tout ce qui n’est pas elle, allant jusqu’à voler l’âme de ceux qui se laissent aller à la contempler. On peut la recouvrir de fétiches, la masquer, la démantibuler sous les résilles, les mantilles, les masques, la corne, les plumes, elle demeure, inexplicable, obscure comme l’oeil affolé qui perce les meilleures compositions d’Arcimboldo ou de Cindy Sherman. »
Il y a quelques mois, nous avons invité Simon Liberati à la librairie Delamain, le lieu où Transfuge fait la plupart de ses rencontres littéraires, face à la Comédie française. Il a présenté son livre sorti en poche, L’Hyper Justine, devant un parterre non négligeable, Jean-Jacques Schuhl, Eva of course, Vincent Darré, Pierre Le-Tan, Frédéric Beigbeder et j’en passe. Cette fois-ci nous avons pu échanger, vite, le temps de me dire que Bonello, il n’avait jamais été complètement convaincu, qu’il aimerait bien revoir Jean-Pierre Léaud qui joua dans Rosa Mystica, le court métrage qu’il avait créé avec Eva, mais qu’il ne semblait pas très en forme, qu’il avait beaucoup aimé le roman de Jean-Noël Orengo La Fleur du Capital, qu’il ne buvait plus une goutte d’alcool et encore moins ne touchait à la drogue, qu’il ne quittait plus une seconde son Eva. On le vit d’ailleurs partir à son bras, heureux et homme amoureux de cinquante-cinq ans, en direction du restaurant de Dave à deux pas de la librairie, le restaurant le plus underground de Paris.