Qu’on ne s’y trompe pas, le titre de ce troisième long métrage de Franssou Prenant ne détourne l’attention que pour mieux revenir sur celle qu’il évoque : Alger. La réalisatrice française, qui fut scénariste, monteuse et comédienne entre autres pour Raymond Depardon, nous transporte au coeur de cette ville où elle a vécu pendant dix ans. Dans un flot d’images, filmées en super 8, elle nous conte les vicissitudes de cette cité meurtrie à travers plusieurs voix d’anonymes, mais aussi la sienne, qui s’entremêlent, se superposent et se succèdent. Entre passé et présent, espoir et utopie perdue, ces bribes de conversations d’amis et de personnes proches, qu’elle a enregistrées sur plusieurs années, forment et reconstituent la complexité de cette métropole méditerranéenne comme des prises de notes visuelles. Bienvenue à Madagascar a été récompensé au Festival Entrevues de Belfort en 2015 par le Prix d’aide à la distribution et le prix Eurocks One + One, pour « son esprit musical remarquable, novateur et libre ». La cinéaste offre en effet une odyssée polyphonique, alimentée par les textes poétiques tiré de son histoire personnelle.
De la colonisation à la guerre d’indépendance en passant par la domination française jusqu’au marasme actuel, ce film-portrait arpente les rues d’Alger, baignées de soleil, pour une rétrospective sociale, politique, culturelle et spirituelle. Des images sobres et ordinaires qui ponctuent les paroles des uns et des autres sur les vestiges d’Alger la Blanche, aux prises avec la violence coloniale et les actes terroristes, dont certains ne manquent pas de la désigner comme « ville interlope ». L’architecture se montre d’ailleurs aussi hétéroclite que la structure narrative marquant les écarts et les liens entre paroles et images. Dans ce cheminement, elle nous conte la richesse culturelle d’un cinéma qui glorifiait son art sans censure ni visa d’exploitation ; les films issus du monde entier étaient disponibles et visibles dans les deux cinémathèques alors existantes. Elle y évoque également les changements de population, la désertion des citadins et l’arrivée des ruraux. Mais aussi la montée de la radicalisation dans cette capitale cosmopolite jadis libre, envahie désormais par des femmes en foulard et des hommes barbus en djellabas. Carla vie exultait dans les ruelles d’Alger ; les femmes étaient belles, les hommes étaient beaux. Puis la cinéaste étend son regard en donnant la parole à la jeunesse algérienne d’aujourd’hui, confrontée à son identité, sa sexualité, au chômage et à la montée de l’extrémisme. Bienvenue à Madagascar joue ainsi astucieusement sur la temporalité. Et une certaine nostalgie s’en dégage, traçant ici un espace de liberté qui se réduit drastiquement depuis ces dernières décennies. Comme le formule la cinéaste, dans des mots empreints de déception : « Tout n’était pas mieux avant, mais dans les mondes que j’ai connus, des beautés existaient qui ont été arasées, sapées. Le monde « moderne » codifié, imposé, me dégoûte et me révolte. »