Pour représenter aujourd’hui un opéra aussi exubérant qu’Ercole Amante, est-il nécessaire de prendre de la distance, d’utiliser de l’humour ?
Christian Hecq : Oui, il faut injecter de l’humour sinon c’est trop lourd, trop ampoulé.
Valérie Lesort : Nous avons conçu un décor neutre, une sorte de grande page blanche à l’intérieur de laquelle nous faisons entrer des choses exubérantes. L’enjeu est d’éviter que le décor soit trop chargé, sinon on ne voit plus rien. Dans ce décor, ces arènes, rentrent des machines incroyables : Junon en montgolfière, Vénus en fleur, etc. Il est important pour nous que notre travail conserve quelque chose d’artisanal. On aime que les choses soient faites à la main. On aurait pu utiliser la vidéo pour créer toutes sortes d’effets spéciaux, mais ce n’est pas l’esprit de notre travail.
CH : il y a, par exemple, dans l’opéra de Cavalli, un moment où Junon descend des cieux très en colère. Il fallait donc que nous lui ménagions, à ce moment-là, une entrée extraordinaire. Dans le décor que nous avons créé, les dieux arrivent par le haut. On a alors envisagé que la déesse entre par un escalier qui, comme par magie, sortait du plafond. Mais, pour des raisons budgétaires, ce ne fut pas possible à réaliser. Donc nous avons inventé une sorte de « vol construit à la main » : les danseurs poseront des marches en dessous des pieds de Junon. Ce genre d’effet visuel demande beaucoup de savoir-faire manuel.
J’imagine aussi que, avec ce genre d’opéra, la difficulté consiste à prendre du recul sans pour autant ridiculiser l’histoire et les émotions exprimées…
VL : Oui, tout est affaire de dosage. Par exemple nous avons travaillé avec Raphaël Pichon, le chef d’orchestre, pour caser un gros monstre vert dans le décor tout en conservant au chant son caractère grandiose. L’humour ne doit travestir ni occulter la beauté. Il faut veiller à ce que la beauté musicale transforme la comédie en poésie. Le plus important est de conserver la sincérité. Par exemple, il y a un moment, dans l’opéra, où tous les personnages expriment le désir de se suicider. La situation peut faire rire mais il faut que le chant soit sincère.
CH : On essaie de proposer un humour sans mauvais goût. Un humour classe.
Quand l’opéra fut représenté à l’époque, il était entrecoupé de ballets de Lully. En avez-vous conservé quelque chose ?
CH : Nous avons supprimé ces ballets que Louis XIV imposait à tour de bras. Molière, d’ailleurs, a souffert du même problème que Cavalli. On a toutefois injecté une dimension chorégraphique au spectacle. On a intégré le mouvement dans la musique et la mise en scène. Nous avons fait en sorte qu’il y ait toujours quelque chose qui bouge dans le décor. La musique de Cavalli met l’oreille en état de grâce et notre fonction est que l’oeil ait quelque chose d’agréable à regarder. Il n’y a jamais d’interruption, tout progresse de façon continue. L’avantage, avec les dieux antiques, c’est qu’on peut faire ce qu’on veut. On peut tout inventer : leurs moyens de locomotion, leur couleur de peau, etc.
VL : On a envie que le spectateur passe du rire aux larmes. Le public doit être dans un état contemplatif, il doit se laisser aller. Il faut qu’il se laisse émerveiller par les images. Le baroque se marie bien avec la contemplation.