Un seul titre et pourtant deux films : Métabolisme ou quand le soir tombe sur Bucarest. Deux films : l’un, rêvé, est un grand brûlot politique sur la Roumanie d’aujourd’hui que Paul, cinéaste, est en train de tourner, mais que Porumboiu choisit de ne pas montrer ; l’autre est l’endoscopie stomacale de Paul que Porumboiu choisit de nous projeter en plein écran. C’est une plongée anatomique inédite et fascinante durant de longues minutes dans les viscères de Paul, dans le corps d’un cinéaste torturé, pris entre son désir pour Alina, son actrice principale, et son aspiration à un grand cinéma engagé. Métabolisme ou quand le soir tombe sur Bucarest est d’abord une plongée dans les entrailles du cinéma
Son précédent opus, Policier, adjectif, Porumboiu l’achevait au terme d’un long interrogatoire en plan-séquence, qui pouvait se résumer à la question suivante : quel sens accorder aux mots ? À travers cette leçon de sémantique se reflétait en miroir une Roumanie policière ; des restes de la dictature de Ceausescu. Dans Métabolisme, Porumboiu va encore plus loin : il filme le temps de l’indécision, ce temps où s’effectuent les choix. Le cinéaste interroge ainsi les raisons profondes qui motivent ces derniers. En amont du tournage comme de l’écriture. Porumboiu filme ce moment transitoire où se joue l’avenir d’un film : faut-il ajouter ou non une scène, par amour pour une femme ? Filmer en argentique plutôt qu’en numérique ? Sans compter les retards ou les contraintes budgétaires dont dépend la possibilité matérielle du film. Paul est pris dans ces instants où les décisions basculent : il se résout subitement à récrire une scène pour Alina qu’il courtise. Alors qu’elle devait être tenue à l’écart de la scène, elle en devient le centre d’attention. Ce choix rend littéralement Paul malade, sentant qu’il peut par faiblesse compromettre le grand film politique auquel il aspire.
La durée des énormes blocs séquences dont le film est constitué sert à montrer l’élaboration de la pensée, la façon dont un choix s’effectue. Au cours des longues conversations entre Paul et Alina, on les voit changer d’avis, digresser sur la nourriture, disserter sur le réalisme. À la fin de chaque phrase, Paul réfléchit, laisse traîner le silence comme si chacune de ses phrases avait un impact sur la suite des événements. D’où ce sentiment d’être en face d’un film très peu écrit, alors que c’est tout le contraire. En fait, l’air de rien, en choisissant de cultiver ou non son désir, de séduire ou non Alina, d’aller ou non sur le tournage pour effectuer des répétitions, c’est son film rêvé qui s’élabore en amont.
Fi lm sur l’ indécision d’un art iste, tout Métabol isme se déroule dans des espaces transitoires : voiture roulant dans Bucarest, hall d’hôtel, caravane de tournage, restaurant, couloir d’appartement, porte fermée sur une chambre à coucher, viscères. Ces lieux de transit sont ceux où se prennent d’importantes décisions artistiques sur lesquelles on ne pourra revenir par la suite. Mais en plongeant au coeur même du désir de création, Porumboiu réussit à fabriquer en miroir le grand film sur la Roumanie auquel aspire son héros. En effectuant apparemment un pas de côté hors de son cinéma social, Porumboiu réussit le plus saisissant portrait contemporain qui soit : celui d’une nation, entre deux temps, en train de se réaliser, cherchant encore à se défaire du passé et à se construire un avenir. Un pays comme un cinéma en état transitoire.