Où l’on s’enchante de l’art Rinpa, qui miroite aux murs du musée Cernuschi. Une splendide balade japonaise.
A Kyoto, s’émerveille Manuela Moscatiello, co-commissaire de cette belle expo, scintillante de dorures et piquetée de motifs floraux, art et vie sont étroitement entrelacés. Le quotidien est affaire d’esthétique, en somme. Rien d’étonnant, puisque la ville japonaise a vu naître, au début du XVIIe siècle, le style Rinpa, dont la prédilection pour les matériaux précieux, et la sophistication graphique, a essaimé bien au-delà de la peinture, déroulant ses formes végétales sur les céramiques et les objets de la vie de tous les jours. Un style dont l’exposition suit le parcours comme une succession de renouveaux dans le sillage de ses deux initiateurs, Koetsu (1558-1637) et Sotatsu (première moitié du XVIIe), jusqu’aux premières décennies du XXe siècle, où a officié le génial Sekka (1866-1942), qui a su faire sienne et moderniser la tradition. Un style, surtout, qui cherche en permanence, et atteint souvent avec un grand bonheur, un délicat équilibre entre une facette purement décorative et une volonté narrative. Quelque chose comme une alliance entre le motif, émancipé de toute ambition mimétique, prisé pour ses seules qualités géométriques ou colorées, et le désir de raconter, ou à tout le moins, de suggérer une histoire.
Tension féconde dont la pièce maîtresse qui ouvre la première salle présente un point culminant (précipitez-vous, elle ne reste que quelques semaines au sein de l’expo, impératifs de conservation obligeant). On veut parler de cet extraordinaire couple de paravents de Sotatsu, représentant les dieux du vent et du tonnerre. Fond nu – si ce n’est qu’il est recouvert d’or, comme une pure surface décorative. Mais sur laquelle se détachent les deux dieux, leurs corps tout en bosselures et courbes des modelés de chair, leurs membres pris dans l’emportement d’un mouvement. Comme jaillissant vers nous, concluant ou entamant une trajectoire dans les cieux dont il nous revient d’imaginer l’origine, les motivations.
Epoque suivante, préoccupations identiques, même s’ils apportent leurs propres inflexions au Rinpa, avec les deux figures de Korin (1658-1716) et Kenzan (1663-1743). Prenez cette autre paire de paravents attribuée à Korin : Mont Fuji et vagues à Matsushima. Des paravents, un accessoire donc, destiné à l’embellissement du cadre de vie. Mais il y a l’impétuosité de ces vagues, ce courant ondé qu’on suit des yeux. Ligne mouvante, ligne par excellence des voyages, de l’aventure, des récits.
Au crépuscule du XVIIIe et à l’aube du XIXe, le style Rinpa connaît un nouvel âge d’or, avec, entre autres, Hochu (mort en 1819). Dont on garde à l’esprit cette paire de paravents représentant des éventails. Des oeuvres, les éventails, deviennent les sujets de l’oeuvre qu’est le paravent : mise en abyme, circuit fermé esthétisant qui s’intéresse moins aux choses représentées qu’à leur représentation ? Seulement en partie. Car à s’approcher des éventails, on constate que les motifs végétaux ont ce léger flou qui est la marque de fabrique de Hochu. Et qui résulte de la technique du tarashikomi (recours à des surfaces humides pour obtenir un aspect légèrement vaporeux). Comme si la perception de ces arbres, de ces feuilles était légèrement flottante ; comme si elle était le fait d’un sujet rêvassant ou méditant. D’un individu, avec son histoire, ses affects, ses pensées. Bref, un personnage.