D’abord un constat de satisfaction. Il y a quelques mois, François Bégaudeau attaquait dans ces colonnes le roman de Virginie Despentes, Vernon Subutex 1 , en démontrant à travers une analyse rigoureuse en quoi il y avait chez cette autoproclamée romancière punk des relents réactionnaires. Chose en elle-même qui pour moi n’est pas bien grave – je mets Drieu et Léautaud dans mon panthéon –, mais surtout et essentiellement qui n’avait jamais été dite aussi clairement que dans cet article. Des mails d’insultes nous étaient arrivés, Arnaud (Viviant) m’interpellait au Prix de Flore, après quelques verres de champagne, pour me dire que l’article était un scandale, que c’était l’incarnation littéraire de la gauche révolutionnaire qu’on assassinait. Cette gauche si révolutionnaire que madame Despentes acceptait il y a quelques jours de siéger dans le Saint des Saints du milieu littéraire, dans l’establishment parisien le plus incontestable, dans le jury du PrixGoncourt en lieu et place de Régis Debray. L’article de Bégaudeau avait quelques mois d’avance pour dire ce que montra ce choix de Despentes : le punk a perdu un de ses membres, définitivement. Même sa déclaration très convaincante donnée au Figaro ne me fit pas changer d’avis : « On peut donc se demander pourquoi je rejoins le jury Goncourt. La raison en est simple : j’ai accepté parce qu’on me l’a proposé. »
Parlons maintenant littérature. Cette deuxième partie de rentrée littéraire est riche en découvertes et en entretiens. Des découvertes, Stéphane Fière, Adam Foulds, Pablo Casacuberta, Bina Shah et bien d’autres… Des auteurs que les critiques littéraires de Transfuge vont chercher dans les marges et que vous ne trouverez pas ailleurs.
Et des entretiens, fouillés, longs, avec Dany Laferrière, dont on réédite les premiers romans sous le titre générique de Mytholgies américaines , drôles, sexuels, frivoles, insolents, libres de toute idéologie ; ce qu’il nous faut aujourd’hui après les horreurs vécues. Un auteur cosmopolite aux sombres heures du repli identitaire forcené, qui a cette jolie formule : « Je n’ai pas de ligne droite dans ma tête. » Le sebaldien et borgesien Jouannais nous a ouvert les portes de son atelier pour nous raconter son obsession des guerres ; un vrai collectionneur comme on les aime. Il aurait même échangé ses exemplaires de La Recherche contre des livres sur la guerre (quelle erreur, cher Jean-Yves !). Sauf Le Temps retrouvé qui pour lui est le meilleur livre sur la Première Guerre mondiale. On a eu par mail un des grands romanciers de la littérature israélienne, de la génération d’Amos Oz, Avraham B. Yehoshua. Il nous parle de sa passion pour Debussy, Mozart, et de l’état catastrophique dans lequel se trouve politiquement son pays, avec une droite plus raciste que jamais selon lui. Nous avons aussi rencontré l’Australien Richard Flanagan qui a reçu le Man Booker Prize en 2014 pour son roman La Route étroite vers le nord lointain . Un roman viril, poétique, sous influence tolstoïenne, sur la Seconde Guerre mondiale, autour de la construction d’une voie ferrée entre le Siam et la Birmanie. Et une interview de celui qui fait l’événement d’édition de cette rentrée (le plus gros contrat jamais signé en France pour un roman étranger), l’Américain G. R. Hallberg, qui signe un roman monstre, City on Fire , fresque balzacienne sur le New York des années soixante-dix. Et William Vollmann, dont Actes Sud sort le premier roman, jamais édité en France, Les Anges radieux, où tout le génie de l’Américain est déjà en germe. C’est une interview exclusive par téléphone de cet immense écrivain que Transfuge suit depuis toujours. Bref beaucoup, beaucoup à lire dans ce numéro, à l’heure où l’espace dédié à la littérature dans la presse se réduit à peau de chagrin