De Gabriel Gbadamosi, on ne sait pas grand chose, sinon qu’il est né à Londres, d’une mère irlandaise et d’un père nigérian-comme le héros de son premier roman, Vauwhall. L’enfance qu’il donne à voir a un cadre précis : celui du Londres des années soixante ou, plus précisément, celui d’un quartier misérable, situé – les villes et les temps changent – au coeur de la capitale britannique.
Car Vauxhall, avant d’être un chouette quartier, fut un vaste lacis de bicoques délabrées, de terrains vagues et de taudis. Situé à deux pas de Big Ben et de la Tamise, il a fini broyé sous les mâchoires des bulldozers, tandis que sa population désarmée, composée de travailleurs pauvres et de marginaux, était expulsée manu militari loin des lumières de la ville.
Il y a du Chaplin, bien sûr, et des traces de Dickens dans ce roman d’enfance. Mais aussi du Walker Evans, ce reporter-photographe du siècle passé, qui sut si bien saisir l’Amérique des déshérités. Le narrateur de Vauxhall est un petit garçon, un gosse rêveur à qui l’auteur ne donne pas de nom; on devine qu’il doit être âgé de huit ou neuf ans. Des saynètes triviales ou tragiques qu’il dessine (le récit s’ouvre sur la mort d’une petite voisine, tombée de la fenêtre, « le front en accordéon contre le trottoir») surgit l’histoire d’une famille miséreuse, remuante et parfois joyeuse. Le père, qui a abandonné ses études, travaille comme manoeuvre.11 suit les nouvelles du Nigeria, ce pays lointain qui est encore le sien, où la guerre du Biafra fait rage. La mère est ouvrière, employée dans une blanchisserie. Elle joue au loto.Sur ies murs du logis, un calendrier de l’armée nigériane est accroché à côté d’une photo des Kennedy et, au-dessous, « une image du Sacré-Coeur,avec son sang enfeu».
Le couple se sépare, puis se rabiboche. Les enfants n’en perdent pas une miette. Il y a les deux frères du narrateur et la soeur, Busola, une dure à cuire qui veut qu’on l’appelle Kat et se rebiffe contre son oncle Eamon – « J’aime pas comme tu me touches », lui jette-t-elle. Mais le quartier tout entier fait office de maison. Avec les rixes, la saleté, les séances de ciné, les attirances du jeune héros: un jour pour Marie, la liseuse solitaire, un autre pour Emily, dont le papa est mort et dont la maman « boit».
Il y a des choses plus dures encore, qu’il faut apprendre. Même sans comprendre. Les tables de multiplications, par exemple. Ou le racisme. Comme ce jour où le petit et sa soeur se font courser par une banded’apprentiscow-boysquilestraitentde«sales nègres». Ou quand deux types disent de la mère qu’elle est une« putain de matelas à Noir». Que ces mots sont étranges!« Je ne m’habituais pas à cette histoire de noir et de blanc, souligne le narrateur[ … ]. Je n’avais jamais pensé que ma maman était blanche. Elle était juste ma maman.»
Rien de naïf, dans ce tableau vivant des années Beatles et Luther King. Juste un vrai-faux regard d’enfant et un récit mariant, avec brio, l’art du reportage et du voyage initiatique.
Vauxhall
Gabriel Gbadamosi
Zoé