Ce qui frappe d’abord chez Xavier Boissel, c’est autant l’éclectisme des sujets abordés dans ses ouvrages que la variété des genres auxquels il s’adonne dans son écriture : le policier avec le remarquable Avant l’aube (10/18, 2017), la guerre avec Autopsie des ombres (Inculte, 2013), l’anticipation avec Rivières de la nuit (Inculte, 2014) tout comme la psychogéographie avec son premier essai, Paris est un leurre (Inculte, 2012, rééd., 2017). Avec ce deuxième essai, Capsules de temps, dont le sous-titre est évidemment un clin d’oeil au fameux ouvrage de Michel Foucault, L’Archéologie du Savoir, Boissel se pose lui-même en un audacieux épistémologue, envisageant – à la différence de son aîné – cette archéologie non pas du point de vue d’une exégèse des archives du passé pour saisir notre présent, mais bien plutôt par une sorte de translation des objets du quotidien et des vestiges de notre civilisation pour nous projeter dans l’avenir. Son ouvrage nous révèle ainsi un pan assez méconnu de l’Histoire des Idées : la conception et l’enfouissement, par des individus ou des groupes, d’« objets scellés » contenant la mémoire de l’humanité – ou ce qui peut en faire office à un instant T – à l’attention des générations futures, et qui, semblables à des bouteilles à la mer – sinon qu’ils s’agirait ici d’une mer temporelle – ont précisément été qualifiées comme ces « capsules de temps » et dont, en cette époque de crises systémiques et de catastrophes globales, ces mots de Pascal Quignard en incarnent parfaitement les enjeux : « C’est la première fois que l’humanité a la certitude que le temps succédera à l’histoire ». Si la « Crypte de la Civilisation » (Atlanta, 1940) destinée à la génération de l’an 8113 où elle est sensée être ouverte, est la plus emblématique et spectaculaire d’entre toutes celles ayant émergée dans l’Histoire moderne, notamment pour avoir insufflé une pratique largement répandue depuis dans de nos sociétés, elle n’en représente pas moins qu’une capsule parmi d’autres aussi étonnantes et prodigieuses dans leurs conceptions intellectuelles, leurs prouesses techniques et leurs spécificités culturelles ou politiques, et dont Xavier Boissel nous retrace l’aventure de manière passionnante : la « National Millennium Time Capsule » (Washington, 1988) contenant une trompette de Louis Armstrong, celle du Bicentennial (Los Angeles, 1976) contenant un skateboard, celle de Steve Jobs (Aspen, 1983) où ont été placés une souris de l’Apple Lisa et un Rubik’s Cube, « La Boîte des Lettres » (Madrid, 2007) rassemblant des écrits inédits d’artistes et d’écrivains, la bouteille isotherme du déporté Marcel Nadsari (Birkenau, 1944) renfermant un document de treize feuillets rédigés en grec, mais également la série « Oasis électronique » réalisée entre 1969 et 1975 du trio d’activistes californien Ant Farm, ou encore « Frozen Ark » (Nottingham, 2010), ce projet caritatif complètement fou d’un zoo congelé destiné à sauvegarder 48.000 échantillons d’ADN et cellules d’espèces en danger d’extinction. Il est impossible ici de revenir sur toutes les capsules évoquées par Boissel, d’autant qu’il en retrace les origines depuis L’Épopée de Gilgamesh et la grotte de Chauvet en passant par la capsule la plus ancienne retrouvée aux États-Unis (Boston, 1793), nous avisant d’ailleurs qu’il serait impossible d’en dresser une liste puisqu’elles sont à ce jour innombrables, et que des 10.000 déjà recensées aux quatre coins du monde, 9.000 sont à ce jour perdues, détruites ou volées. Il est cependant intéressant d’indiquer que le blog Paleofuture en a recensé les plus célèbres, encore non ouvertes, sur le territoire américain.
160p. 16,90€ : en librairie le 9 janvier 2019