Trois mois d’abstinence. Le confinement aura aiguisé notre appétit d’art. Mais le déconfinement ne viendra pas seulement nous rassasier : gageons qu’il aiguisera aussi notre regard. Qu’on verra ainsi les expos et les collections des musées de la Ville de Paris qui rouvriront courant juin d’un œil neuf, moins frivole peut-être que dans le « monde d’avant ».
Comment, par exemple, ne pas songer devant la Comédie humaine croquée par Arroyo (expo à la Maison de Balzac, chroniquée dans notre n°137) à tout ce casting de héros et de polichinelles qui a fait notre quotidien médiatique de crise ? Ou comment ne pas songer à nos propres insomnies devant la plastique tourmentée, les féeries angoissantes du sculpteur et céramiste N.H. Jacobsen au musée Bourdelle ? Les contes étranges de cet apôtre du Symbolisme et de l’Art nouveau nous tendent un troublant miroir. Mais rappellent aussi, avec leur jeu libre et foisonnant de formes que l’art, comme disait Kafka, permet « de se dégager du vécu ». Non un escapisme, mais une sublimation.
On aura beaucoup voyagé en cette période de confinement – des voyages rêvés, bien sûr, devant nos écrans et nos pages. Le Petit Palais, avec La Force du dessin-Chefs-d’œuvre de la collection Prat, reconduit et amplifie l’expérience. La collection de dessins français de Louis-Antoine et Véronique Prat est un merveilleux périple spatio-temporel. C’est le musée imaginaire de tout amateur d’art qui se respecte devenu réalité. On traverse ainsi quatre siècles, du XVIIe à l’aube du XXe, au gré des œuvres de maîtres dont l’énumération donne le vertige : Boucher, Ingres, Delacroix, Poussin… Et dans ce monde brutalement ramené à l’exiguïté mesquine des frontières qui est le nôtre, avec quelle allégresse ne suit-on pas les aventures italiennes des Français séduits par les lumières de Rome au XVIIe siècle ! Ou cet autre voyage dans la culture transalpine et l’Antiquité que fut le néoclassicisme deux siècles plus tard. Et puis quel meilleur antidote à cette longue période de conformisme certes nécessaire mais lassant – chacun son attestation, chacun son masque –, que le contact avec l’œuvre d’individualités singulières ? C’est une des vertus de l’exposition : montrer que les scénarios traditionnels de l’histoire de l’art, les écoles et autres mouvements, sont éclipsés par la stature de créateurs comme Ingres.
Ceux dont le besoin de consolation serait impossible à rassasier après trois mois à ingérer des comédies sentimentales en boucle sur Netflix iront au Musée de la vie romantique. Là, ils pourront, littéralement, s’en donner à cœur joie, puisque l’expo Cœurs- Du romantisme dans l’art contemporain explore les multiples avatars de ce viscère capital s’il en est… Pierre et Gilles, Jim Dine, Sophie Calle et bien d’autres : tous déclinent le plus vieux motif du monde. Et n’en finissent pas de s’interroger sur les liens mystérieux entre cet organe et nos sentiments, entre l’anatomie et l’émotion.
Il faudrait aussi mentionner, en juillet, la réouverture des collections permanentes du musée d’Art moderne ou encore de celles du musée Cognacq-Jay. Mais, mi-juin, on saluera cet autre déconfinement : celui du musée Cernuschi. Le temple des arts de l’Asie à Paris avait fermé durant un an et rouvert en mars dernier… Faux départ donc, mais il est temps à présent de redécouvrir des collections réorganisées de frais. Et d’embarquer pour l’Orient !