La photographe Laura Stevens expose à la galerie Miranda son très beau travail d’exploration du nu masculin. Un regard intrigant et novateur.
Qu’est-ce qu’un corps d’homme ? Que dit-il de la femme qui le contemple, l’observe, le scrute, le détaille ? Les représentations picturales et photographiques de la nudité corporelle ont toujours donné la préférence, dans une écrasante proportion, à la femme, à la fois sujet d’étude et objet de désir. Il est curieux et même troublant de constater, en particulier dans l’univers de la photo, cette surreprésentation d’un sexe comme modèle esthétique pour des raisons qui ne tiennent pas seulement à la beauté présumée de la femme mais souvent à une perpétuation de codes de domination masculine. Le regard comme instrument de soumission : l’idée est entendue. Il est encore plus curieux d’observer que peu de femmes artistes se sont penchées sur la question du nu masculin qui, jusqu’à présent a surtout interrogé la sensibilité érotique gay. Les raisons en sont multiples : pudeur, interdit, impossibilité de voir le corps masculin comme un objet d’études comme un autre. Collaboratrice de Transfuge, la photographe britannique Laura Stevens façonne depuis des années, une œuvre singulière à mi-chemin de l’observation frontale et de la mise en scène mélancolique transfigurée par sa lumière si particulière. On lui doit une magnifique série sur le deuil amoureux dans laquelle flottent des êtres perdus, livrés à eux-mêmes, grands brûlés, amputés d’une partie d’eux-mêmes cherchant en vain la petite lumière qui anesthésiera leurs parts d’ombre. Laura Stevens a aussi raconté ses errances solitaires dans les décombres d’un Ouest américain en voie de disparition d’une façon à la fois poignante et poétique. Pendant une année, elle a décidé de partir à la découverte de ce continent à ses yeux largement méconnu : l’homme et ce que dit de lui, son rapport au corps, à sa nudité, à sa force, à ses faiblesses. Chez elle, sur son lit sur lequel elle posait un simple drap blanc, une cinquantaine d’inconnus ont accepté de se dévêtir, au propre comme au figuré, en se dépouillant de leurs protections, de leurs armures vestimentaires et mentales. Aux antipodes d’une représentation mettant en scène les canons d’une virilité assumée et comme évidente, Laura Stevens s’attache à déconstruire un discours daté. Ses corps, entiers ou morcelés, « interrogent les notions de masculinité ‘dure’ et ‘active’ qui interdisent ‘la vulnérabilité’, la douceur’ et ‘la passivité’, des qualités supposées féminines ». Mais pour Laura Stevens cela ne s’arrête pas là : « Se permettre de se faire photographier, d’être l’objet du regard d’un autre, cela implique de lâcher prise et laisser venir des révélations éventuelles, à la fois sur le plan physique et émotionnel. Être l’objet-nu – devenir un nu – pousse encore plus loin cette possibilité de vulnérabilité. Ces hommes m’ont fait confiance pour que je les montre ainsi. » On peut les découvrir sur les murs de la Galerie Miranda, troublés, troublants, fragiles derrière leurs murailles de muscles, incertains dans leur virilité assumée et remise en question à l’instant même où une femme, Laura Stevens, entrevoit toute l’ambigüité d’être un homme, lorsque l’on se saisit de l’apparence pour en découdre le mythe.
« Corps d’hommes », Galerie Miranda, 21 rue du Château d’eau, 75010, du 5 septembre au 31 octobre.